Agroécologie 5 min
Climat, biodiversité : le retour gagnant des arbres champêtres
Depuis le milieu du XXe siècle, 70 % des haies ont été détruites pour augmenter la productivité des fermes françaises. Pourtant, on leur reconnaît aujourd’hui de nombreux bénéfices économiques, écologiques mais aussi agronomiques… À l’heure de la mobilisation contre les dérèglements climatiques et le recul de la biodiversité, quel rôle joueront ces espaces dans le développement d’une agriculture mieux adaptée aux changements globaux ?
Publié le 25 février 2022
Abattre les arbres pour produire davantage
Dès la fin de la Seconde Guerre mondiale, les arbres ont été vu comme un frein au développement agricole de la France.
Afin d’augmenter la productivité des fermes, le remembrement a été mis en place par l’État, de gré ou de force. Les haies ont été arrachées pour assembler de petites parcelles voisines en une grande parcelle, permettant d’augmenter la surface cultivable et de simplifier le travail des agriculteurs.
On reproche alors aux arbres d’entraver la bonne circulation des engins agricoles : difficile pour les tracteurs de passer dessous, difficile de slalomer entre les troncs pendant le labour, obligation de multiplier les allers-retours avec de petits semoirs, pulvérisateurs et autres moissonneuses-batteuses.
Les arbres peuvent aussi constituer un frein au bon développement des cultures. Leur ombre créer un retard de croissance : lors de la moisson, les grains sont moins mûrs et donc de moins bonne qualité. Dans les prairies, les plantes légumineuses, riches en protéines, se développent moins à l’ombre du feuillage, pouvant occasionner un fourrage à la valeur nutritive moindre.
Agriculture vivrière, agriculture de rente
En parallèle, l’agriculture française s’est inscrite dans la mondialisation. Les fermes se sont spécialisées, permettant de baisser les coûts de production, abandonnant ainsi leur système économique semi-autarcique. Les arbres ont souvent perdu de leur intérêt, puisque les éleveurs ont moins besoin de produire eux-mêmes leur bois de chauffe, ou de stocker leurs pommes et noix pour l’hiver.
Les productions agricoles sont désormais des cultures de rente et non des cultures vivrières, même si de nombreux agriculteurs ont maintenu un potager, un verger ou quelques animaux pour leur consommation personnelle.
Aujourd’hui, les arbres souffrent souvent d’une image désuète, tandis qu’une agriculture plus technologique se développe, là encore complexifiée par la présence d’arbres : pilotage automatique des engins agricoles, surveillance des cultures par drones et satellites, etc.
Des conséquences négatives pour la biodiversité… et pour nous
Les conséquences les plus connues de ces abattages d’arbres concernent l’environnement. Les haies nourrissent et abritent en effet des oiseaux et des arthropodes, mais aussi du gibier comme le lapin de garenne ou la bécasse.
L’arrachage des haies crée de grandes surfaces favorables au ruissellement de l’eau, surtout en hiver lorsqu’il n’y a aucune culture en place et que les précipitations sont importantes. Ce ruissellement emporte la terre des champs dans les rivières, induisant une baisse de la qualité de l’eau mais aussi une baisse de productivité du champ.
Enfin, l’arrachage des arbres champêtres entraîne la perte de paysages typique à certaines régions : le bocage normand, les frênes têtards du marais poitevin, ou encore les vergers hautes tiges des Vosges du Nord font partie du patrimoine et constituent une source d’attractivité touristique.
La biodiversité, la qualité de l’eau et le patrimoine sont difficilement chiffrables, ce qui peut expliquer qu’il a été pendant longtemps difficile de voir les effets négatifs de l’arrachage des arbres. Aujourd’hui, les haies sont surtout concentrées dans l’Ouest et le Centre de la France, dans des régions où l’élevage s’est maintenu.
L’arbre champêtre, un allier contre le réchauffement
On sait désormais que les arbres ont des avantages pour les agriculteurs, ce qui pourrait inciter à leur retour dans nos campagnes.
Les arbres créent un microclimat, protégeant les cultures et les animaux du vent, du soleil, et de la chaleur. Ils permettent donc de limiter l’effet des intempéries sur les productions agricoles. Les arbres agroforestiers stockent le carbone atmosphérique dans leurs troncs et branches, mais aussi et surtout dans le sol. Le carbone du sol est important pour les cultivateurs, puisqu’il augmente la fertilité et la réserve en eaux, permettant de meilleurs rendements.
En élevage, les arbres favorisent le bien-être animal en fournissant des abris et des endroits où se frotter. Plusieurs programmes de recherche étudient actuellement l’utilisation d’arbre comme fourrage, ce qui peut être particulièrement intéressant en été lorsque les prairies perdent en valeur nutritive et ne poussent quasiment plus. Enfin, les arbres sont aussi une source de nectar et de pollen, pouvant intéresser les apiculteurs.
Enfin, l’avantage économique de l’agroforesterie est désormais démontrés. Cultiver du blé et des merisiers en agroforesterie produit par exemple 17 % de biomasse (blé et bois) de plus que de les cultiver sur deux parcelles distinctes.
Plantations stratégiques
Les nouvelles plantations d’arbres sont désormais réfléchies pour être adaptées aux engins et ne plus gêner le travail des agriculteurs. L’orientation des lignes d’arbres est définie selon que l’agriculteur souhaite éviter de faire de l’ombre à ses cultures pour maximiser leur croissance (orientation nord-sud), ou au contraire apporter de l’ombre pour protéger des excès de soleil (orientation ouest-est).
L’arbre champêtre augmente ainsi la résilience de l’agriculture face au changement climatique. Et il se plante aujourd’hui de plus en plus d’arbres en milieu agricole, autour et au cœur des parcelles, notamment grâce au programme « Plantons des haies ! » et un accompagnement à la fois économique et technique.
Il est aussi important de repenser l’économie entourant des haies après leur implantation : les haies fournissent des services à toute l’humanité (séquestration de carbone, maintien de la biodiversité, épuration de l’eau…), les agriculteurs ne devraient donc pas être les seuls à en assurer l’entretien.
Cet article est republié à partir de The Conversation sous licence Creative Commons. Lire l’article original.