illustration Christine Aubry, quand l'agriculture arrive en ville
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Société et territoires 5 min

Christine Aubry, quand l'agriculture arrive en ville

Fermes périurbaines ou microfermes, jardins collectifs ou serres… Christine Aubry, ingénieure de recherche INRAE, en parle avec passion. Son objet de recherche ? L’agriculture ou plutôt les agricultures urbaines, tant les formes en sont diverses et les fonctions variées. Un phénomène en plein essor qui suscite de nombreuses questions de recherches, agronomiques, sociales et autres, qu’elle n’a cessé d’instruire au gré de son parcours d’exception.

Publié le 26 janvier 2021

Agronome de formation, Christine Aubry débute sa carrière scientifique dans le domaine de la gestion technique des exploitations agricoles avec un intérêt fort pour les liens entre l’agriculture et le territoire. Son parcours et ses recherches vont progressivement l’amener à s’intéresser à l’agriculture urbaine, celle située dans et autour des villes, dont les produits et les services sont essentiellement orientés vers la ville et dont les ressources (foncier, main d’œuvre, eau...) peuvent faire l’objet d’usages agricoles ou urbains, concurrentiels et/ou complémentaires.

L’histoire commence à Antananarivo, au centre de l’île de Madagascar, où, de 1999 à 2002, elle travaille sur la déforestation dans le sud-ouest du pays. Son intérêt pour l’agriculture urbaine prend corps lorsqu’elle réalise que l’on ne peut vivre à Antananarivo sans avoir de l’agriculture à ses pieds, même en plein cœur de la ville.  Dans ce contexte, Christine participe notamment au projet franco-malgache ADURAA - Analyse de la durabilité de l’agriculture dans l’agglomération d’Antananarivo (Ministère des Affaires étrangères, 2003-2006).

« A l’époque, nous nous sommes aperçus que très peu de travaux existaient sur ce type d’agriculture encore peu connue et peu développée. Et, de façon peu courante, nous envisagions un transfert de connaissances et techniques d’un pays du sud aux pays du nord ».

A son retour en France, au cœur de l’UMR Sciences pour l’action et le développement : activités, produits, territoires - SadAPT (INRAE, AgroParisTech), elle entreprend notamment des travaux de recherches sur l’agriculture urbaine dans les pays du Nord, en particulier en France. Elle participe alors à des groupes de travail sur les liens villes-campagnes et les circuits courts (notamment avec l’équipe qui s’est formée sur ces thèmes à Montpellier). Elle constitue, avec André Torre, l’équipe Proximités au sein de l’UMR SadAPT dans laquelle anime le groupe de travail « Agricultures de proximité ».

De l’essor des recherches en agriculture urbaine…

Le boom des travaux de recherche sur l’agriculture urbaine a lieu autour de 2005, et ce, à l’échelle internationale.

Nous passons d’un sujet dont on ignorait tout à quelque chose qui interroge et donne envie de creuser encore plus loin

Cet intérêt grandissant pour l’agriculture urbaine amène Christine Aubry à prendre certaines orientations : initier des travaux de thèses sur ces formes d’agricultures non professionnelles. Ce sera, par exemple, la thèse de Jeanne Pourias en 2014 sur les fonctions alimentaires des jardins associatifs, en cotutelle avec l’Université du Québec (CAN) ; mettre en place, dès 2012, une équipe de recherche autonome, dédiée. Ce sera l’équipe « Agricultures urbaines » qui s’intéresse à l’émergence des agricultures urbaines au nord.

L’objectif : quantifier et évaluer les fonctions et les services que ces agricultures, dans leur diversité, représentent pour la ville et s’interroger sur les services que la ville peut apporter à cette forme d’agriculture, comme par exemple l’apport de déchets organiques pour valoriser ces derniers et limiter l’apport d’intrants.

Dans le même temps, Christine Aubry, accompagnée de quelques chercheurs, investit le toit de l’Institut des sciences et industries du vivant et de l'environnement - AgroParisTech, pour en faire une ferme urbaine expérimentale. Ce toit potager fait depuis office de référence.

Dès 2013, l’équipe s'implique fortement dans l’enseignement supérieur, mettant en place une dominante d’approfondissement de troisième année du cursus d’ingénieur AgroParisTech, Ingénierie des espaces végétalisés urbains, qu’elle anime par ailleurs.

…à l’essor de l’équipe « Agricultures urbaines »

Depuis l’équipe « Agricultures urbaines » s’est considérablement renforcée.
Elle compte aujourd’hui pas moins de 17 personnes. Le recrutement d’ingénieurs et de chercheurs compétents dans les domaines de l’économie, de l’agroécologie, de l’agronomie des territoires ou encore de la géographie ont progressivement permis d’internaliser les connaissances nécessaires aux études conduites par l’unité. La réalisation de thèses, l’accueil de chercheurs associés ou de scientifiques invités, tel Joe Nasr de l’université Ryerson de Toronto (CAN) ou encore la participation à des projets nationaux, européens ou internationaux ont permis d’approfondir de nombreuses questions de recherche.
Sa mission s’est affinée au fils des ans, consistant à analyser les agricultures urbaines, professionnelles ou non, dans leur diversité, du point de vue des fonctions qu’elles remplissent, de leurs modes de fonctionnement et des pratiques techniques, sociales et territoriales des acteurs impliqués. L’objectif : éclairer les conditions de durabilité de ces agricultures urbaines mais aussi les risques auxquelles elles peuvent être confrontées.

On n’arrête pas une équipe qui gagne !

En juin 2015, devant l'afflux de demandes d’accompagnement émanant de collectivités bailleurs, entreprises, pour développer des formes d'agriculture urbaine, Christine Aubry fonde une antenne spécifique, Exp'AU - Expertises en agricultures urbaines, au sein de l’Association pour le développement et la promotion de la recherche à AgroParisTech – Adeprina (devenu AgroParisTech Innovation).
En mars 2016, au sein d’Exp’Au, l’équipe lance le programme de recherche REFUGE - Risques en fermes urbaines : gestion et évaluation. Il s’adresse aux collectivités territoriales, gestionnaires, aménageurs, décideurs publics et autres porteurs de projet d’agriculture urbaine dans un contexte d’émergence de l’agriculture urbaine et d’absence de réglementation propre.

Cultivons ensemble la ville fertile et durable de demain 

En avril 2018, très engagée dans la formation, Christine Aubry, qui est par ailleurs professeure consultante à AgroParisTech, et son équipe donnent naissance à la Chaire Agricultures urbaines – Services écosystémiques et alimentation des villes, portée par la Fondation AgroParisTech. L’objectif : produire des connaissances et des outils pédagogiques pour accompagner le développement de l’agriculture urbaine au service de la résilience des villes.

Et demain ?

Jusque-là responsable de l’équipe « Agricultures urbaines » et de son animation, Christine Aubry a « passé la main » de cette animation, qui se met en place de façon collégiale, tout en restant fortement mobilisée sur des sujets stratégiques comme les demandes de postes auprès de la direction de l’Institut et les modifications qu’entraine le déménagement de l’unité et donc de l’équipe sur le Plateau de Saclay.  Une façon élégante de protéger ses collègues tout en leur donnant encore un peu plus de temps pour s’installer, prendre leurs marques et… préparer la prochaine évaluation de l’équipe à échéance 2023.

Sa « vie professionnelle post-salariale », comme elle aime à la nommer, Christine y a déjà songé même si elle a encore beaucoup de temps. Son envie, c’est tout à la fois, mettre à disposition son expérience sans toutefois vraiment lâcher l’affaire « tellement cela évolue rapidement et de manière intéressante ». 

« Je suis persuadée de la nécessité de mieux accompagner la société civile, collectivités et associations en premier lieu, sur la question de la résilience des villes, qu’il s’agisse d’alimentation ou de bien être, lié à la nature ou à l’agriculture. »

D’ores et déjà active au sein de collectifs mobilisés autour des agricultures urbaines, Christine Aubry se voit bien faire le lien entre la connaissance et la pratique qu’elle a de la recherche et les questions sociétales. Son point d’attention : trouver sa juste position entre une expérience qui lui permettrait de mettre en avant des points d’attention et des thématiques émergentes à côté desquelles elle risquerait de passer.

Spécialiste de l’agriculture urbaine, celle que certains voient comme « l’une des rares scientifiques françaises à avoir ce niveau d’expertise » considère avec beaucoup de recul le chemin parcouru et regarde avec beaucoup de lucidité un avenir qui s’annonce radieux pour elle comme pour l’agriculture urbaine.

Catherine Foucaud-ScheunemannRédactrice

Contacts

Christine Aubry UMR Science spour l'action et le développement : activités, produits, territoires (INRAE, AgroParisTech)

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