Biodiversité 5 min

Ce que notre rapport aux insectes dit de notre rapport à la nature

Découvrez l'article de Michel Renou, directeur de recherche INRAE, spécialiste de la biologie des insectes, publié dans le media The Conversation.

Publié le 06 avril 2019

illustration Ce que notre rapport aux insectes dit de notre rapport à la nature
© Shutterstock

Le déclin alarmant des insectes dans le monde, mis en évidence par plusieurs études récentes, a trouvé un écho considérable dans les médias et suscité l’émotion du public. Mais les espèces d’insectes généralement choisies pour illustrer cette extinction de masse sont principalement « esthétiques » (libellules, papillons, etc.) ou d’utilité reconnue (pollinisateurs ou coccinelles par exemple).

Bref, des espèces qui disposent d’un fort capital de sympathie, et qui restent à leur place, c’est-à-dire dehors : nous sommes prêts à leur offrir l’hôtel, mais dans le jardin, pas à la maison.

Cette prise de conscience de l’insecte comme ayant droit de la biodiversité ne s’accompagne pas d’un changement de son statut. Le moins que l’on puisse dire est que notre perception des « arthropodes » – très grand groupe qui contient notamment les insectes, les araignées, les scorpions et les scolopendres – est ambiguë.

Espèces invasives ou envahissantes ?

On voit souvent les rassemblements de coccinelles asiatiques ou de punaises diaboliques dans nos maisons en automne comme des invasions menaçantes. À ce propos, la coccinelle « bénéficie » d’un double statut : bête à bon dieu de notre enfance ou indésirable venue d’ailleurs.

Mais « invasif » n’a pas du tout la même signification pour l’écologue et le grand public. Pour le premier, l’adjectif désigne des espèces introduites dont les populations connaissent un développement rapide et qui entrent en compétition avec les espèces locales comme le ver « Obama ». Le grand public, quant à lui, y associe tout organisme qui envahit nos lieux de vie, en provoquant des nuisances d’un degré très différent.

La recrudescence des punaises de lit est ainsi souvent qualifiée d’invasion alors que l’espèce était déjà présente depuis longtemps en France et bien contrôlée : seule une dégradation des conditions d’hygiène permet sa résurgence.

La remontée des chenilles processionnaires du Pin dans des régions septentrionales de la France est une mauvaise nouvelle, mais la processionnaire est une espèce native.

Pyrale du buis

 

À l’inverse, la pyrale du buispapillon nocturne venu d’Asie – est à la fois une espèce invasive qui compromet la survie des buis sauvages et ornementaux, et envahissante lorsque, attirée par la lumière, elle vient perturber un dîner sur la terrasse.

Une aversion parfois légitime

Ce simple problème de vocabulaire traduit une méconnaissance des phénomènes biologiques. Comment expliquer ce rejet des insectes et autres arthropodes « domestiques » ?

Petits, ils pénètrent facilement dans l’intimité de nos maisons, et se reproduisent rapidement, quitte à devenir très envahissants. Des compétiteurs à prendre au sérieux, qui détruisent ou souillent une part significative de nos stocks alimentaires.

Les espèces hématophages, comme les puces, les moustiques ou les punaises, propagent des pathologies graves. La crainte de nous laisser déborder par leur croissance incontrôlée est donc légitime. À son paroxysme, elle peut s’exprimer sous forme de phobies qui posent à ceux qui en sont victimes de réels problèmes.

Mais ceci ne concerne en définitive qu’une petite partie des espèces : notre vision globale des arthropodes reflète une relation à la nature impliquant sa totale maîtrise.

Insecticides ou insect inside

Grâce aux progrès en hygiène, en techniques d’habitat et au contrôle chimique, nous nous sommes habitués à débarrasser nos espaces domestiques de tous les organismes non invités : pas de vivant hors du pot de fleurs, de la cage ou de l’aquarium. La présence d’insectes ou d’autres arthropodes familiers, comme les araignées ou les scutigères par exemple, est assimilée à une absence de propreté.

La blatte Ectobius est attirée par les matières organiques en décomposition et l’humidité, mais résiste peu aux environnements secs.
La blatte Ectobius est attirée par les matières organiques en décomposition et l’humidité, mais résiste peu aux environnements secs

Les matériaux contemporains utilisés, polystyrène pour l’isolation, agglomérés pour le mobilier, sont peu propices à la vie. Les pesticides chimiques éliminent quant à eux sans distinction insectes rampants et insectes volants.

Parallèlement, pesticides et matériaux plastiques font désormais l’objet d’un très large rejet. Mais sommes-nous pour autant prêts à admettre toutes les implications de l’« organique » ? L’utilisation de matériaux biodégradables, paille ou textiles recyclés pour l’isolation par exemple, va s’accroître. Et par définition, ces matériaux métabolisables par le vivant offriront des « niches » à toute une microflore et une microfaune.

Comment protéger ces matériaux de manière respectueuse de l’environnement et de la santé ? Comment concilier des demandes contradictoires et nous préparer à la cohabitation ?

Apprendre à distinguer les nuisances

Il existe déjà des moyens simples et efficaces : exposer au froid du congélateur les petits objets pour les débarrasser des insectes du bois, conserver les denrées alimentaires dans des boîtes bien fermées, utiliser des répulsifs basés sur des huiles essentielles… De nouvelles méthodes, basées sur des biopesticides plus spécifiques verront le jour.

Mais le contrôle total est-il possible et souhaitable ?

Il s’agira de décider plus rationnellement des traitements curatifs et de savoir évaluer les risques. Nous devrons apprendre à distinguer nuisances légères et risques sanitaires ou économiques avérés. L’agriculture connaît depuis longtemps le concept de seuil d’intervention. Plutôt que de traiter à titre préventif, ou au premier signe de présence, il faudra utiliser de manière raisonnée les moyens à notre disposition.

Le renoncement à l’éradication demande des « compétences » spécifiques et un changement d’attitude qui ne pourront s’acquérir que par une meilleure éducation. La tolérance d’organismes dont la présence n’est pas totalement planifiée passe par une meilleure connaissance de formes de vies qui nous sont peu familières.

Mouche des éviers
Mouche des éviers

Contacts

Michel Renou Institut d'écologie et des sciences de l'environnement de Paris (UPMC,CNRS, INRAE, IRD, Univ. Paris Diderot)

Le département

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