illustration Anne Lacroix, économiste appliquée, ingénieure impliquée
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Société et territoires 7 min

Anne Lacroix, économiste appliquée, ingénieure impliquée

Anne Lacroix, ingénieure de recherche au laboratoire grenoblois Gael, a su faire sauter très tôt les carcans disciplinaires et faire de l’innovation méthodologique un pivot pour la recherche en économie appliquée. Son profil couvre à la fois l’économie agricole, l’évaluation des politiques publiques et l’analyse des choix de consommation. Elle a fait de sa méthode préférée - l’économie expérimentale - le point d’appui de dispositifs novateurs pour l’observation des comportements. Elle reçoit le Laurier de l’innovation technologique pour la recherche.

Publié le 20 novembre 2017

« L’Inra a toujours été dans ma vie, » conclut avec humour Anne Lacroix à l’autre bout du fil en finissant de raconter son histoire. Les images défilent… le village natal de Haute-Savoie, son père « agriculteur novateur » épluchant les journaux à l’affut des dernières recherches, son lycée proche du labo Inra de Thonon-les-Bains ... l’Inra, où elle finira par entrer pour de bon, où elle rencontrera son mari. Après une thèse en économie agricole au laboratoire d’économie Inra de Grenoble, c’est en 1983 qu’elle est recrutée sur un poste d’ingénieure de recherche. Au creux des paysages alpins, prise dans le bouillonnement grenoblois, elle déroule sa carrière suivant un axe de travail : définir les principes de politiques publiques qui permettent de faire évoluer les comportements de production et de consommation vers des systèmes agro-alimentaires plus durables. Innovante, imaginative, inventive, l’ingénieure se distingue par ses travaux pluridisciplinaires avant l’heure, ses prises de risques méthodologiques dans l’interdisciplinarité et en économie expérimentale. Elle a intégré une manière de travailler, basée sur le dialogue et la co-construction avec ses partenaires, préfigurant la recherche participative. C’est, imagine-t-elle, cela que récompense le Laurier de l’innovation technologique que lui décerne l’Inra cette année.

L’économie, un pont entre agriculture et environnement

Jusque dans les années 1990, l’économiste agricole étudie les conditions de travail des agriculteurs, difficiles en ce début de crise économique. Elle s’attaque ensuite aux coûts et à l’impact écologique des pollutions diffuses d’origine agricole. Elle participe à l’expertise scientifique Inra sur les pesticides (1) qui fait encore référence aujourd’hui pour les acteurs publics et privés. Les obstacles méthodologiques n’ont pas manqué ! Mais ce qui perce dans sa voix, c’est le bonheur qu’elle a eu de travailler à ce qu’elle aime : rapprocher les économistes des agronomes, géographes, hydrologues, bioclimatologues, écologues.... Après 14 ans toutefois, un malaise s’installe, « les solutions techniques envisagées ne se diffusent guère, les politiques d’accompagnement proposées sont boudées… Mes collaborations quasi-exclusives avec les agronomes m’éloignent de la science économique en marche ». Alban Thomas, le chef du département Inra SAE2 (2), a un autre regard, « Anne a réussi une conversion méthodologique exemplaire en passant de l’agriculture et l’environnement à l’alimentation ». « Je suis passée de l’autre côté du rubicond ! », s’exclame-t-elle en écho à son responsable. Ses rires résonnent dans le téléphone.

Passionnée d’éco expé

Les consommateurs peuvent-ils constituer un levier pour le développement durable ? Voilà la nouvelle question concrète et urgente qu’Anne Lacroix veut traduire dans un protocole de recherche scientifique. Pour cela, elle recourt à l’économie expérimentale, méthode importée des USA par Bernard Ruffieux, son collègue et compagnon de route. « L’éco expé permet d’observer les comportements des agents économiques en univers contrôlé et reproductible : les participants sont placés dans des conditions réelles et prennent des décisions qui ont des conséquences effectives pour eux, financières ou matérielles ». Alors que l’interdisciplinarité monte en puissance à l’Inra, pour Anne, c’est déjà la routine ! Elle fait collaborer économistes, nutritionnistes, sciences hédoniques et cognitives. Les projets se focalisent sur l’information des consommateurs sur les marchés des produits alimentaires. Avec ses collègues, Anne conçoit des dispositifs originaux : un magasin alimentaire expérimental, un laboratoire mobile permettant d’aller observer les comportements au cœur des quartiers défavorisés. En partenariat avec les ministères de la santé et de l’environnement, son équipe travaille sur la conception de logos pour amener les consommateurs à une alimentation plus durable. Récemment, le logo Nutriscore, avec son code à cinq couleurs, testé en magasin et dans le labo Gael a été retenu officiellement. « Oui, nos recherches ont impacté les décisions des politiques publiques et les consommateurs », témoigne-t-elle avec satisfaction. Vient aussi, parmi les succès, le partenariat avec l’association CLCV (3) pour savoir ce que les consommateurs attendent d’un étiquetage alimentaire et les informations qu’ils utilisent. Cette recherche, fortement participative, s’est appuyée sur des dispositifs expérimentaux nouveaux : tablette et enquête en ligne.

Personne pivot

Un grand plaisir pour Anne, c’est d’être impliquée dans ce qui touche au collectif. « Les collectifs c’est compliqué, mais j’adore ça ! », réplique-t-elle enjouée. Elle a contribué à différents groupes de travail au sein de son labo, de son département, de l’institut dans le but d’organiser, faire connaître et défendre les métiers d’appui à la recherche. « On a besoin de l’entendre et savoir ce qu’elle pense pour prendre les décisions au labo », commente Mariane Damois, collègue et amie de 40 ans, elle aussi lauréate d’un Laurier en 2012.

 

Et après ?

Le laboratoire d’économie appliquée de Grenoble, Anne Lacroix le connaît par cœur ! Elle l’a vu évoluer, se transformer et grandir d’année en année avec l’arrivée de nouveaux chercheurs travaillant sur la consommation, sur l'innovation et plus récemment sur l'énergie. « C’est grisant, parce que c’est une reconnaissance de notre attractivité scientifique... notamment des apports de l’économie expérimentale. Maintenant, il faut arriver à bien intégrer les nouveaux, à rester cohérent dans les axes de recherche du labo, » confie-t-elle à l’aube d’un nouveau virage dans sa vie. En effet, en 2018, Anne sera une jeune retraitée qui partagera son temps entre Grenoble et les Baronnies. Mais avant, c’est promis, elle aura réussi à ranger ses énormes piles de dossiers. Ce qui lui importe surtout, c’est boucler son chantier sur la démarche qualité pour laisser place nette à ses jeunes collègues. En effet, pour elle, il est clair que la validité scientifique des expériences en économie appliquée repose sur rigueur des processus et traçabilité. Les normes qualité se font plus pressantes, la taille requise pour les échantillons de participants de plus en plus grande. De nouveaux dispositifs expérimentaux devront se développer, in situ, sur Internet, en exploitant le big data, selon Anne. Pour faire bouger les politiques publiques, la recherche participative qui rapproche la logique des chercheurs et celle des praticiens, est nécessaire afin de produire des connaissances scientifiques socialement acceptées.

Equipe Anne Lacroix
En bas au centre Anne Lacroix, lauréate Laurier de l’innovation technologique pour la recherche 2017, entourée de l'équipe du laboratoire d’économie appliquée de Grenoble, centre INRAE Auvergne-Rhône-Alpes

 

 

Patricia LéveilléRédactrice

Contacts

Anne LacroixUMR Gael INRAE/CNRS/Université de Grenoble/Grenoble INP

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