Société et territoires

3% des forêts françaises ne sont plus exploitées depuis au moins 50 ans

On considère que les forêts primaires, qui n’auraient jamais été exploitées par l’homme, n’existent plus en France métropolitaine. Il reste cependant des forêts qui ont été exploitées par le passé mais qui ne le sont plus depuis un certain laps de temps et que l’on dit en libre évolution. Lorsque ce temps est long à l’échelle d’une vie humaine, par exemple 50 ans, les marques de l’exploitation s’estompent pour laisser place à une dynamique naturelle. On peut alors qualifier ces forêts de « surmatures » vis-à-vis du cycle sylvicole classique, bien que la maturité biologique de la forêt ne soit pas encore atteinte.

Publié le 16 décembre 2021

illustration 3% des forêts françaises ne sont plus exploitées depuis au moins 50 ans
© Yoan Paillet

Ces forêts ont un intérêt pour la biodiversité et le stockage de carbone, mais leur surface et leur répartition est très mal connue pour la France métropolitaine. En utilisant des données issues d’un réseau national de mesures forestière dans les réserves naturelles et biologiques,  l’étude de Lucie Thompson et des collègues du LESSEM ainsi que des réserves naturelles de France, publiée en décembre dans le journal Diversity and Distributions, nous a permis d’exprimer la date de dernière exploitation forestière en fonction des caractéristiques des forêts. Une fois ce modèle construit, nous l’avons projeté sur les données de l’inventaire forestier national qui décrit, de manière statistique, l’ensemble des forêts françaises. Cette approche est originale car, habituellement, ce sont les caractéristiques des forêts qui sont étudiées en fonction de la date de dernière exploitation, et non l’inverse. Cela permet une approche continue qui s’affranchit des débats sur le temps nécessaire à la forêt pour regagner son caractère naturel.

Les éléments qui caractérisent les forêts surmatures sont les très gros arbres, de forts volumes de bois mort et la diversité en microhabitats (comme les cavités, écorces décollées…). De plus, l’absence de souches, mais aussi une forte densité d’arbres en taillis indiquent des forêts sans exploitation depuis plusieurs dizaines d’années tout en caractérisant l’héritage du passé d’exploitation de la forêt et une empreinte humaine toujours forte.

Ainsi, nous avons montré qu’actuellement 3% des forêts françaises ne sont plus exploitées depuis au moins 50 ans (ce chiffre varie de 1 à 9%). C’est la première estimation robuste – statistique – de cette proportion : la précédente remontait aux années 90 et était basée sur du dire d’expert. Ces forêts sont majoritairement situées en zones montagneuses, peu accessibles, mais l’on en trouve encore en plaine. Plus surprenant, notre approche a aussi permis de montrer que 43% des forêts françaises n’avaient plus été exploitées depuis au moins 26 ans (et jusqu’à 50 ans), ce qui représente un potentiel de forêts surmatures dans un futur plus ou moins proche.

Cependant, ces forêts n’ont pour la plupart pas de statut de protection pérenne, bien que leur conservation soit cruciale pour la biodiversité et le climat. D’autre part, des approches plus ciblées sont nécessaires pour confirmer l’approche nationale, qui reste statistique et ne couvre sans doute pas toutes les forêts intéressantes pour la conservation. Ainsi, notre étude ne constitue qu’un des premiers jalons pour la cartographie et la conservation des forêts surmatures et en libre évolution en France métropolitaine. Ces travaux viennent alimenter le Plan National d’Action en cours d’écriture par le ministère en charge de l’écologie, et seront complétés par des travaux en cours sur la cartographie des forêts surmatures en utilisant notamment la technologie Lidar aéroporté.

Référence : Thompson, L., Cateau, E., Debaive, N., Bray, F., Torre, A., Vallet, P., & Paillet, Y. (2021).
How much does it take to be old? Modelling the time since the last harvesting to infer the distribution of overmature forests in France. Diversity and Distributions, 00, 1–14. https://doi. org/10.1111/ddi.13436

Lien vers la publication :
https://onlinelibrary.wiley.com/doi/10.1111/ddi.13436

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