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Viroplant recherche les virus qui seront les biopesticides de demain

A l’occasion d’une conférence du réseau de scientifiques Ecological Management of Bioagressors in Agroecosystems (EMBA), Mylène Ogliastro, directrice de recherche INRAE dans l’unité montpelliéraine Diversité, Génomes et Interactions Microorganismes-Insectes (DGIMI), est revenue sur les principaux résultats obtenus par son équipe dans le cadre du projet européen Viroplant, qui vise à explorer la diversité virale des bioagresseurs afin d’y découvrir de nouveaux biopesticides.

Publié le 10 août 2021

illustration Viroplant recherche les virus qui seront les biopesticides de demain
© INRAE, Arnaud RIDEL

Des parasites cellulaires injustement haïs

Petits parasites intracellulaires obligatoires, les virus sont partout : bactéries, archées et eucaryotes, tous les organismes vivants subissent leur pression de sélection. Très petits même comparés aux bactéries, ne pouvant se reproduire ou avoir un métabolisme actif en-dehors d’une cellule, les virus sont souvent considérés en marge du monde vivant. Inclassables dans l’arbre de la vie, leurs origines restent débattues : descendants d’éléments assemblés avant l’apparition des premières formes de vie, évolution réductrice du génome d’un parasite jadis cellulaire, gènes évadés d’une cellule… ou bien subtil mélange de ces différents scénarios.

Depuis janvier 2020, les actualités nous ramènent sans cesse à la dangerosité que représentent certains virus pour la santé humaine. Mais ces derniers cachent la majorité silencieuse : environ 220 virus peuvent infecter l’être humain, soit seulement 2,4 % des 9110 espèces répertoriées en 2020 par l’ICTV (International Committee on Taxonomy of Viruses). Mieux : les virus pathogènes d’arthropodes pourraient constituer un grand réservoir d’auxiliaires pour l’agriculture. Pour l’instant, les virus connus, notamment ceux des arthropodes, représentent cependant la partie émergée de l’iceberg, car la diversité virale reste largement à découvrir.

Mylène Ogliastro, directrice de recherche INRAE et cheffe de l’équipe « Physiopathologie et spectre d’hôte des densovirus, perspectives en lutte biologique » au sein de l’unité mixte de recherche DGIMI, explore la diversité des entomovirus, ou virus spécifiques aux insectes - le groupe d’arthropodes le plus diversifié, à la recherche des « perles rares » qui pourraient servir de biopesticides contre les insectes dits « nuisibles ».

Viroplant, de l’exploration de la diversité virale à son exploitation

Elle n’est pas seule dans cette tâche : « dans le cadre du projet européen Viroplant, quatre équipes internationales travaillent sur les entomovirus », résume la chercheuse en visioconférence face à une quinzaine de collègues le vendredi 23 juillet, à l’occasion du séminaire bimestriel du réseau Ecological Management of Bioagressors in Agroecosystems (EMBA), créé en 2014 par le département Santé des Plantes et Environnement (SPE) d’INRAE pour regrouper les scientifiques travaillant sur la gestion écologique des bioagresseurs des agroécosystèmes. En parallèle de l’équipe INRAE, des équipes espagnoles et italiennes s’appliquent pour Viroplant à mieux décrire les mycovirus, ces virus méconnus qui affectent les champignons, ainsi que certains virus dits persistants largement prévalents chez les insectes.

Viroplant est un projet de recherche européen qui court de 2018 à 2021 et regroupe 18 organismes publics et privés de 8 pays, dont INRAE. Disposant d’un budget de 3,3 millions d’euros, il vise à développer des biopesticides viraux, étape par étape : d’abord, caractériser la diversité virale des cultures et de leurs pathogènes, ravageurs et vecteurs, qu’ils soient des bactéries, des champignons ou des insectes. Ensuite, déterminer les virus remplissant les critères pour être de « bons » biopesticides : spécifiques au nuisible visé, létaux, peu coûteux à produire et transmissibles par voie orale. Enfin, tester ces biopesticides et développer leur commercialisation.

A la rescousse des baculovirus

Au sein de Viroplant, l’unité DGIMI étudie la diversité des virus d’insectes nuisibles aux cultures de tomate, de poivron, d’aubergine et de luzerne. La recherche commence au champ, par le ramassage d’insectes au filet ou à la main. Les scientifiques prélèvent en priorité les principaux nuisibles signalés par les agriculteurs : la noctuelle de la tomate (Helicoverpa armigera), la noctuelle de la betterave (Spodoptera exigua), la mineuse sud-américaine de la tomate (Tuta absoluta), la punaise verte puante (Nezara viridula) ou encore l’araignée rouge (Tetranicus urticae). Les chercheurs utilisent ensuite des méthodes de métagénomique virale basées sur une concentration des particules de virus à partir des échantillons, et sur le séquençage haut débit des acides nucléiques (ARN et ADN) qu’elles contiennent. L’équipe emploie enfin un outil bio-informatique dédié qu’elle a développée, baptisé NearVANA, pour détecter et identifier les séquences virales présentes dans ces insectes.

Parmi cette foule de virus, Mylène Ogliastro s’intéresse en particulier aux densovirus, de petits entomovirus pathogènes pour de nombreux insectes. « Ils ont été testés avec succès comme biopesticides dès les années 80, mais n’ont finalement pas été mis sur le marché, en raison du manque d’attractivité de ces agents de biocontrôle à une époque largement dominée par les insecticides chimiques. Seuls les baculovirus ont résisté et concentré l’essentiel des recherches durant ces années du « tout chimique ». Aujourd’hui encore, les baculovirus sont les seuls entomovirus disponibles comme biopesticides, mais l’apparition de résistances depuis une dizaine d’années incite à explorer de nouvelles ressources virales », détaille la chercheuse montpelliéraine.

Un nouveau densovirus découvert chez le tétranyque commun

La recherche de nouveaux virus infectant les arthropodes par l’équipe de Mylène Ogliastro commence à porter ses fruits : par exemple, elle a publié en 2019 dans la revue Viruses la découverte d’une nouvelle espèce de densovirus, Tetranychus urticae-associated ambidensovirus (TuaDV), chez l’araignée rouge (le tétranyque commun Tetranychus urticae), un acarien ravageur hautement polyphage. « Comme ces acariens sont devenus très résistants aux insecticides conventionnels, la découverte de virus chez eux est une piste de biopesticide particulièrement intéressante », s’enthousiasme Mylène Ogliastro. Une découverte de bon augure pour la recherche appliquée comme pour la recherche fondamentale, qui commence tout juste à explorer la matière noire constituée par les virus des arthropodes.

Référence :
François, S., Mutuel, D., Duncan, A.B., Rodrigues, L.R., et al. (2019). A New Prevalent Densovirus Discovered in Acari. Insight from Metagenomics in Viral Communities Associated with Two-Spotted Mite (Tetranychus urticae) Populations. Viruses, 11, 233. https://doi.org/10.3390/v11030233
 

 

François MALLORDYRédacteur

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Mylène OGLIASTRO ChercheuseDiversité, Génomes et Interactions Microorganismes-Insectes (DGIMI)

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