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Vaccin ARNm : réponses aux multiples questions

La mobilisation mondiale de la communauté scientifique et de ses technologies auront permis d’aller très vite depuis le début de la pandémie de Covid19 liée à l’émergence du virus SARS-Cov-2. En à peine une année, plusieurs vaccins ont été mis au point, ont reçu les autorisations de mise sur le marché et les campagnes de vaccination contre ce virus se déploient aujourd’hui sur tous les continents. Retour sur les connaissances scientifiques et innovations qui ont permis de développer ces vaccins très rapidement en compagnie de Mylène Ogliastro, virologue à INRAE et vice-présidente de la Société française de Virologie.

Publié le 22 janvier 2021

illustration Vaccin ARNm : réponses aux multiples questions
© AdobeStock

La vaccination est un procédé qui permet « d’apprendre » à nos organismes à reconnaitre un agent infectieux (virus , bactérie, parasite) et à se défendre efficacement en cas de contact ultérieur et ainsi de se protéger contre la maladie causée par ce microbe. Le principe est simple : mettre en contact un individu n’ayant jamais rencontré l’agent infectieux avec la version affaiblie de celui-ci ou un de ses composants, afin d’activer dans notre organisme une réponse immunitaire qui gardera une « mémoire » de cet agent. En cas de réinfection par le même agent, cette « mémoire » sera réactivée, les symptômes seront faibles voire inexistants et préserveront l’individu des formes graves de la maladie. L’exemple de vaccin qui reste emblématique fut celui développé par Pasteur contre le virus de la rage. La vaccination n’est d’ailleurs pas un « traitement » si récent : on retrouve la trace des premiers essais datant du XVIe siècle en Chine contre la variole bien avant l’observation des premiers virus en microscopie électronique à la fin des années 1930. Le nom « vaccin » vient d’ailleurs du nom latin du virus de la variole Vaccinia virus.

Quelles stratégies vaccinales pour contrer le virus ?

Plusieurs stratégies de vaccination permettent de déclencher une réponse immunitaire suffisamment forte pour être neutralisante en cas de second contact avec un agent pathogène viral, bactérien ou parasitaire. Faisons le point sur les stratégies vaccinales historiques et celles en cours contre la Covid 19.

Les vaccins à virus atténués contiennent des virus rendus non ou peu virulents par génie génétique. Ils sont utilisés par exemple contre la rougeole, les oreillons, la poliomyélite ; ils présentent comme avantages de reproduire l’infection naturelle, donc de procurer une très bonne immunité, et d'être délivrable par voie orale ou voie respiratoire. Leurs principaux inconvénients sont de pouvoir dans de cas très rares regagner leur pathogénicité, et d'avoir des effets secondaires notables. Cette technologie a été développée dès le XIXe siècle, et n'est pas utilisée contre la Covid 19.

Les vaccins à virus inactivés contiennent des virus rendus non-pathogènes par des traitements physiques ou chimiques (irradiation UV, haute température). Ils sont notamment utilisés contre la grippe et la poliomyélite. Cette technologie, développée dans les années 1930, correspond à la stratégie retenue par les vaccins CoronaVac et Sinovac. Ils sont peu chers à produire et stable à 4 °C, mais nécessitent un adjuvant pour renforcer la réponse immunitaire. L'immunité procurée est plus faible et nécessite deux injections (rappel).

Les vaccins à pseudo-particules virales sont composés de particules virales produites en laboratoire, vidées de leur matériel génétique et donc incapables de se multiplier. Cette technologie est utilisée contre l'hépatite B et le Papillomavirus (Glaxo, Merck). Leur immunisation est proche d’une infection naturelle, car ils imitent différents éléments du virus, mais ils restent compliqués à réaliser et nécessitent des rappels.

Les vaccins sous-unitaires contiennent une protéine virale apte à déclencher la réaction immunitaire (Spike pour le SarsCoV-2). Celle-ci est produite en laboratoire par génie génétique. Un des vaccin contre l'hépatite B, et le vaccin Sanofi-GSK, encore en phase clinique, utilisent ce procédé. Ils sont faciles à concevoir, et induisent une bonne immunité contre une seule protéine du virus. Ils sont lourds à produire (besoin d’une protéine virale purifiée sous une « forme native ») et nécessitent des d’adjuvants pour renforcer la réponse immunitaire.

Les vaccins à virus recombinant d'ADN ou d'ARN contiennent un virus (non-pathogène) génétiquement modifié pour qu’il exprime un gène d’un autre virus pathogène (p. ex. le gène de la protéine Spike pour le SarsCoV-2). La particule de ce virus-vecteur transporte le gène dans les cellules humaines qui fabriqueront la protéine. Cette technologie est développée depuis les années 2000. Contre la Covid 19, quatre vaccins utilisent ce procédé, : AstraZeneca-Oxford, Johnson&Johnson, Gamaleya-Sputnik V et Pasteur-Vaccin. Ils donnent une très bonne immunité contre une protéine du virus. Cette technologie est bien maîtrisée par des plateformes vaccinales existantes, rapide à mettre en œuvre, à produire et à adapter.
Par contre, il est nécessaire de modifier le vecteur entre les deux injections pour éviter son élimination précoce par nos anticorps lors de sa seconde injection.

Les vaccin liposomes-ARNmessager utilisent l‘ARN d’une protéine virale d’intérêt (p. ex. Spike) et le véhicule dans les cellules grâce à des liposomes (vésicules lipidiques). Nos cellules humaines fabriqueront la protéine virale à partir de l’ARNm. C'est la stratégie retenue par les premiers vaccins contre la Covid 19 mis sur le marché par BioNtech-Pfizer (Allemagne, USA) et Moderna (USA), mais également dans des essais Zika et ceux de l'Ebola Vaccin. Ils présentent les mêmes avantages et inconvénients que les vaccins à ADN/ARN recombinants.

VRAI/FAUX : Créer un vaccin sérieux prend au moins 10 ans ?

Ça dépend de quoi on parle ! La création d’un vaccin passe par différentes phases de recherche sur l’agent pathogène puis de développement et de test des candidats-vaccins.
Comprendre un virus, son mécanisme d’infection, ses interactions avec l’hôte et la réponse immunitaire est l’étape de recherche la plus longue (5-10 ans). Elle permet de déterminer la ou les protéines virales qui seront les meilleures candidates pour un vaccin. Dans le cas de la Covid 19, les études précédentes sur les coronavirus, et en particulier les épidémies de SARS-CoV en 2001-2002 et MERS-CoV en 2012, avaient permis d’acquérir ces connaissances. La protéine Spike de ces virus avait été identifiée comme un élément essentiel de l’activation du système immunitaire. L’ensemble de ces connaissances ont permis de gagner des années de recherche dans le développement d’un vaccin contre le SARS-Cov-2. De plus, les « vaccins à ARN messager », reposent sur une technologie initiée dans les année 1990 et développée grâce à la ténacité de la biologiste Katalin Kariko. 1 Les premiers vaccins ont été testés contre les virus Ebola et Zika et plus récemment contre la grippe saisonnière. Cette technologie « ARNm » est aussi utilisée dans des immunothérapies anti-cancéreuses. Actuellement, les vaccins à ARNm sont plus coûteux à produire que les vaccins classiques, mais présentent l’avantage d’être rapides à synthétiser, une fois la protéine immunisante identifiée.

Référence : Kariko et al. Mol. Therapy 16 1833-1840 (2008) - Malone et al. 1989 PNAS (16) 6077-6081

La phase de développement d’un vaccin comporte trois phases cliniques :

Phase (durée)

Nombre de volontaires

Objectif

Phase I (1 à 2 ans)

20 -100 personnes

Vérifier chez l’homme que le vaccin n’est pas nocif. On parle d’innocuité.

Phase II (2-3 ans)

100-300 personnes

Déterminer la dose efficace et établir un relevé des effets secondaires à court terme

Phase III (1-2 ans)

3000 personnes

Vérifier sur un nombre de personnes plus important l’efficacité et l’innocuité du vaccin

Demande d’homologation du produit pour une mise sur le marché par les autorités compétentes (1-2 ans)

Phase IV (observation des campagnes de vaccination sur un temps long)

Nombre de personnes vaccinées

Pharmacovigilance sur les effets à long terme (1-10 ans)

Phases cliniques : Lire la synthèse sur les vaccins Covid19

Dans le cas de la Covid 19, la phase de développement a été réduite à 10 mois : cet exploit a été possible grâce à l’organisation des phases cliniques II-III de manière chevauchante, à la priorisation de l’évaluation des données par les autorités de santé sur toutes les autres molécules en attente, et aux subventions publiques et privées massives qui ont permis de mobiliser la recherche mondiale sur la compréhension de ce virus. En moins d’une année, on recense plus de 80 000 articles scientifiques publiés sur ce virus.

Le vaccin reste efficace en cas de mutation(s) du virus ?

Pour l’heure, l’efficacité des vaccins ARNm mis sur le marché (BioNtech-Pfizer, Moderna) n’est pas remise en question. L’injection d’une protéine étrangère déclenche la production d’un cocktail d’anticorps qui seront capables, en cas d’infection par le virus, de se fixer à cette protéine de son enveloppe pour la « neutraliser » et l'empêcher ainsi de rentrer dans les cellules. La protéine Spike, utilisée ici, est constituée de 1 300 acides aminés, semblables aux perles d’un collier. Si un petit nombre de ces « perles » change de couleur ou de forme, le « collier » restera dans l’ensemble « reconnaissable » par le cocktail d’anticorps. Toutefois, certaines perles sont plus importantes que d’autres pour la neutralisation. Leur changement peut donc entrainer une diminution de l’efficacité des anticorps. Mais l’excellente efficacité de vaccins à ARNm, estimée à 95 % (ce qui est bien au-delà des recommandations de l’OMS) permettrait de supporter une diminution de cette efficacité sans remettre en cause le vaccin, en tout cas à court terme. Enfin, la société Pfizer-BioNtech, a d’ores et déjà annoncé être en mesure de synthétiser en 15 jours un « vaccin adapté aux variants » en intégrant les nouvelles mutations, et de pouvoir le distribuer sous 6 semaines.

A-t-on assez de recul concernant les effets secondaires du vaccin ?

Sur la base des tests cliniques, oui. La taille des cohortes mobilisées pour tester les différents vaccins ont été particulièrement importantes (44 000 personnes pour Pfizer-BioNtech, 30 000 pour Modern...). Les effets secondaires qui se sont manifestés ont été relativement classiques et transitoires (maux de tête, fièvre, douleur au point d’injection, fatigue). Certains effets étaient présents également dans les groupes témoins et donc plutôt liés à l’injection en elle-même qu’à la molécule ARNm. Les cas d’allergies sévères (chocs anaphylactiques) ont été très rares (1 cas sur 100 000), survenant dans les minutes suivant l’injection ; ils concernaient des personnes avec des antécédents de réactions immunitaires fortes. Cela a permis d’adapter les protocoles aux risques en gardant en observation les personnes « à risque » vaccinées dans tous les pays : en France, les personnes vaccinées patientent ainsi 20 minutes après chaque injection, temps suffisant pour observer les symptômes d’une allergie sévère, et des seringues d’adrénaline sont mises à disposition des soignants en cas de besoin.

Le suivi des effets à long terme des vaccins est très important et fait l’objet de la phase de pharmacovigilance qui démarre après la mise sur le marché du vaccin, et ce comme n’importe quel autre nouveau médicament. Aujourd’hui plus de 4 millions de personnes ont été vaccinées aux Etats-Unis et les campagnes de vaccination s’amplifient dans tous les pays. Israël a aujourd’hui vacciné plus de 20 % de sa population.

L’utilisation d’un médicament présente toujours des risques, risques que nous acceptons dans la mesure où nous estimons que leurs bénéfices sont supérieurs. Rappelons les derniers chiffres : le SRAS-Cov-2 tue environ 2-3 personnes sur 1 000 infectées, le risque est plus important avec l’âge puisque plus de 10 % de personnes âgés de plus de 75 ans infectées en meurent (ces personnes représentent plus de 80 % des personnes décédées).

VRAI/FAUX : Tout le monde doit se faire vacciner pour atteindre l’immunité collective

FAUX. La vaccination contre une maladie contagieuse est un processus dont le but est double : protéger l’individu ET protéger le groupe par une immunité collective ou immunité de groupe, en bloquant (immunité parfaite) ou au moins en limitant (immunité imparfaite) les possibilités de transmission du virus. L’immunité collective est calculée en fonction du niveau de transmissibilité du virus (le R0, estimé par exemple à 2,5) et l’efficacité du vaccin. L’efficacité faible d’un vaccin (60 %) contre un virus ayant ce R0 demanderait de vacciner pratiquement toute la population. Une efficacité de 90 % permettrait d’atteindre une immunité collective en vaccinant 60 %. Nous avons donc une responsabilité collective dans la vaccination contre une maladie, car notre immunité personnelle participe à la protection des plus fragiles. 

Mieux comprendre la propagation d'une épidemie


 


Sarah-Louise FilleuxRédactrice

Contacts

Mylène Ogliastro UMR Diversité, génomes et interactions microorganismes-Insectes (INRAE, Univ. Montpellier)

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