Agroécologie 3 min
Protection contre les ravageurs de cultures : l’effet insoupçonné d’une phéromone sexuelle
COMMUNIQUÉ DE PRESSE - Une étude INRAE menée sur des noctuelles, des papillons ravageurs, révèle le rôle des phéromones émises par les femelles. Elles ont pour effet d’imposer un rythme biologique circadien aux mâles, favorisant la rencontre entre les deux sexes durant les périodes de reproduction. Fait étonnant, l’effet d’un de ces composés chimiques surpasserait celui de la lumière dans la mise à jour de l’horloge interne, une découverte qui pourrait accélérer la mise en œuvre de nouvelles applications de biocontrôle dans les champs. Ces résultats sont publiés le 8 avril 2024 dans la revue Current Biology.
Publié le 09 avril 2024
Chez les animaux solitaires, les interactions socio-sexuelles pourraient avoir une influence importante sur la synchronisation de l’horloge interne. L’horloge interne agit en effet comme une boussole pour de nombreux animaux en régulant leur sommeil. Pour être efficace, elle doit se synchroniser en permanence sur les cycles jour/nuit locaux. Des agents extérieurs comme la lumière et la température permettent une mise à jour de ce rythme circadien.
Dans ce contexte, des chercheurs d’INRAE se sont intéressés aux interactions socio-sexuelles et à leur rôle dans cette synchronisation. Ces échanges sont essentiels pour les animaux, même pour les espèces solitaires comme la noctuelle Spodoptera littoralis, dont la chenille ravage notamment les cultures de maïs et de légumineuses. Ce papillon n’ayant au stade adulte qu’une longévité très courte de 7 à 8 jours, la vie adulte du mâle n’est consacrée qu’à la reproduction.
En étudiant cette espèce de papillon de nuit, l’équipe de recherche a observé un changement du rythme d’activité des mâles en présence de femelles. Les phéromones produites par ces dernières sont perceptibles par le sexe opposé à de très longues distances. De cette manière, les femelles imposent leur rythme circadien aux mâles lors des périodes de reproduction, et cette synchronisation favorise la réussite des accouplements.
Parmi les différents composés chimiques synthétisés par la glande à phéromones de la noctuelle, le (Z, E)-9,11-tetradecadienyl acetate (Z9E11-14Ac) est le seul capable d’attirer les mâles. En les exposant à ce composé, même en plein jour, les scientifiques ont montré que le rythme circadien des mâles s’en trouvait modifié. Ce résultat inattendu montre pour la première fois, chez un animal solitaire, l’effet d’une interaction socio-sexuelle surpassant celui de la lumière sur l’horloge interne. La découverte ouvre de nouvelles perspectives dans l’étude de la synchronisation du rythme circadien, notamment chez les mammifères.
Fait intéressant, la noctuelle Agrotis ipsilon, espèce proche de Spodoptera littoralis d’un point de vue évolutif et présentant un chevauchement de niche significatif, est capable de modifier le rythme circadien des mâles Spodoptera par l’émission de phéromones. En revanche, cela ne conduit pas à des accouplements entre ces espèces.
Grâce à leurs observations, les chercheurs envisagent des applications de biocontrôle[1], pour limiter les dégâts de l’espèce ravageuse Spodoptera littoralis sur les cultures. Les femelles n’ayant pas de réponse forte à leurs propres phéromones, l’idée est d’exposer les mâles à ces odeurs durant la matinée pour modifier leur rythme circadien au cours de la journée. Ainsi, les rythmes des deux sexes seraient désynchronisés, ce qui empêcherait la rencontre et donc l’accouplement.
RÉFÉRENCE
Ghosh S. et al. (2024). Pheromone-mediated command from the female to male clock induces and synchronizes circadian rhythms of the moth Spodoptera littoralis. Current Biology, https://doi.org/10.1016/j.cub.2024.02.042
[1] Le biocontrôle, fondé sur la connaissance des interactions naturelles entre espèces, est un des leviers en agroécologie pour protéger les cultures contre les ravageurs et les maladies.