illustration Nathalie Bréda, gérer et adapter nos forêts face aux contraintes et enjeux de demain
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Changement climatique et risques 5 min

Nathalie Bréda, gérer et adapter nos forêts face aux contraintes et enjeux de demain

Directrice de recherche INRAE, Nathalie Bréda, s’intéresse à la vulnérabilité des forêts aux aléas climatiques, biotiques et aux changements globaux. Un sujet qu’elle décline depuis de nombreuses années et de multiples façons, entre recherche, animation, enseignement ou encore expertise. Aujourd’hui, elle consacre son temps à des programmes de recherche autour des dépérissements forestiers, au partenariat avec les acteurs forestiers, à la prospective et à la formation des jeunes par la recherche.

Publié le 31 juillet 2020

C’est suite à une journée « portes ouvertes » au centre Inra de Champenoux (Nancy) que le parcours professionnel de Nathalie Breda a débuté : « J’ai tourné sur le centre pendant toute une journée, prenant connaissance de toutes les thématiques abordées, des graines utilisées pour reboiser jusqu’à l’évaluation de la qualité des planches… les chercheurs de chaque labo étaient si passionnés que je trouvais tout intéressant... c’était là que je voulais travailler ».

Son diplôme d’ingénieur forestier en poche et après une thèse en écophysiologie forestière sur la réponse des chênes à la sécheresse et à l’éclaircie, Nathalie Bréda a été recrutée comme chercheuse dans l’unité Écologie et écophysiologie forestières (Inra, Univ Henri Poincaré) devenue, début 2018, SILVA (INRAE, Univ. Lorraine, AgroParisTech) et où elle travaille dans l’équipe Ecologie des forêts et des écosystèmes peu anthropisés - EcoSilva.

Cheffe de département adjoint de la structure Écologie des forêts, prairies et milieux aquatiques - EFPA de 2010 à 2013, Nathalie Bréda s’est ensuite impliquée dans l’animation et la direction du métaprogramme Inra Adaptation au changement climatique de la forêt et de l’agriculture - Accaf. L’ouverture à des agro-écosystèmes non forestiers lui ont permis d’éprouver la généricité dans les concepts d’adaptation aux changements ou de résilience face aux crises.

Accompagner la recherche forestière vers de nouveaux défis

Aujourd’hui, elle partage son expérience avec ses collègues pour les accompagner vers les nouveaux défis que doit relever la recherche forestière : développer durablement la fonction de production des systèmes écologiques là où c’est possible, analyser et gérer les crises pour amplifier les capacités collectives d’adaptation anticipative, caractériser et optimiser les services rendus par les forêts et milieux naturels, autant d’enjeux que le contexte climatique récent met au-devant de la scène.

Des arbres à la fois résistants … et vulnérables

La résistance des arbres et leurs performances de croissance constituent son sujet de recherche principal : « Nous nous basons sur les anneaux de croissance qui forment le tronc d’arbre pour déterminer les années pendant lesquelles la croissance est perturbée. Le défaut peut concerner plusieurs années successives ou être ponctuel. Dans ce cas, un cerne annuel étroit traduit que l’arbre n’a presque pas poussé ». Après les sécheresses des années 2003 à 2005, de nombreux cas de dépérissements ont été étudiés dans le cadre du projet DRYADE - Vulnérabilité des forêts face aux changements climatiques : de l'arbre aux aires bioclimatiques (ANR, 2007-2011) que la chercheuse a coordonné. Les pertes de productivité directe des forêts ont été évaluées pour les différentes essences de la forêt française. Mais les résultats les plus originaux concernent la mortalité. « Au sein d’un même peuplement, nous avons pu montrer que les arbres les plus vulnérables lors des sécheresses et qui n’ont pas survécu étaient souvent ceux qui avaient le mieux poussé soit dans leur jeune âge, soit dans les années précédant la sécheresse ». De quoi déstabiliser les sylviculteurs et les généticiens, qui travaillent depuis toujours au profit des arbres les plus performants. Dans le contexte actuel des crises climatiques et biotiques, le paradigme nouveau consiste à sélectionner les arbres présentant un compromis entre performance de croissance et résistance aux sécheresses.

Des écosystèmes complexes exposés à de multiples contraintes

Nathalie Bréda travaille essentiellement en conditions naturelles, où les contraintes sont multiples, les interactions entre communautés complexes et la diversité importante. « C’est ce qui est passionnant. Chaque nouveau dysfonctionnement interroge nos acquis et met à l’épreuve la généricité des mécanismes que nous étudions ». Les changements parfois très anciens de pratiques, de sylviculture, de fertilité ou de contraintes liées au climat ou aux cortèges de bio-agresseurs sont décortiqués, datés, quantifiés, hiérarchisés. Une enquête rigoureuse est menée pour retrouver le ou les causes des dysfonctionnements, des mortalités. « Le plus difficile parfois aussi, reconnaît la scientifique, c’est de comprendre les mécanismes qui sous-tendent l’extraordinaire capacité de récupération des écosystèmes, ce qu’on appelle la résilience ». Par ailleurs, ses travaux ont démontré l’implication quasi systématique des épisodes de déficit hydrique dans l’induction des dysfonctionnements. Son équipe a donc engagé depuis plusieurs années un effort de mise à disposition d’outils en ligne qui permettent de s’approprier les concepts et de calculer des bilans hydriques forestiers. Prochainement sur ce même site, des cartes de déficits hydriques calculées depuis 1959 permettront à chacun et à chacune de retrouver les caractéristiques des épisodes de sécheresse vécus par sa forêt d’intérêt.

Un travail d’équipe, qui mobilise des disciplines et des partenariats diversifiés

La complexité des écosystèmes forestiers nécessite par nature de mobiliser des compétences techniques et scientifiques très diversifiées.
« C’est un véritable défi pour les progrès de nos recherches. Faire travailler ensemble des généticiens et des écophysiologistes, des écologues et des sylviculteurs, des pathologistes et des bioclimatologues, des modélisateurs et des statisticiens, c’est difficile mais terriblement efficace ! Et nous sommes également interpelés par nos partenaires non scientifiques : les gestionnaires, les services en charge de l’inventaire des forêts ou de la surveillance de sa santé… C’est ce qui caractérise aujourd’hui une recherche moderne en écologie ». 

Sur un plan plus personnel, les nombreuses compétences de Nathalie Bréda lui ont permis de contribuer à la réédition actualisée et enrichie du guide de gestion des crises sanitaires en forêt aux côtés de l’Office national des forêts - ONF, du Département de la santé des forêts – DSF du Ministère de l'agriculture et de l’alimentation et du Réseau mixte technologique Adaptation des forêts au changement climatique ou RMT Aforce. Elle s’est également impliquée dans la réflexion prospective d’INRAE sur les risques. Enfin, elle a récemment participé à la rédaction de la feuille de route pour l’adaptation de la forêt au changement climatique du Ministère de l’agriculture et de l’alimentation.

Repenser la sylviculture et l’aménagement des forêts dans un contexte incertain

Les résultats récents acquis par l’équipe de Nathalie Bréda sur la vulnérabilité des arbres et des peuplements ont des conséquences fortes pour les gestionnaires des forêts privées ou publiques. Malgré les incertitudes climatiques, les changements sont en marche et les écosystèmes forestiers devront s’adapter de manière spontanée, s’ajuster, parfois aux prix de mortalités brutales lors d’évènements extrêmes comme des tempêtes, des sécheresses, des épidémies ou des pullulations de ravageurs. « Notre mission est d’éclairer les gestionnaires dans leurs choix pour, dès maintenant, accompagner ces changements en favorisant l’adaptation planifiée et non seulement réactive lors des crises, en transformant nos forêts lorsque les contextes pédoclimatiques sont ou seront trop difficiles pour les écosystèmes en place ». Au prix de certains compromis entre les multiples fonctions de la forêt, à la fois productive, diversifiée et durable.

Des prix qui récompensent un investissement énergique et des réponses pragmatiques

La remise en cause constante qui caractérise la vie de chercheur est certes parfois difficile à vivre, mais c’est ce qui stimule Nathalie Bréda, qui n’hésite pas à s’engager avec la même passion dans ses recherches et dans la communication de ses connaissances au grand public.

Un mélange subtil de recherche et de finalité

Sa motivation et un investissement de chaque instant sur les fronts de la science et de sa diffusion lui ont valu le prix du Conseil régional de Lorraine du chercheur 2004. « La région Lorraine m’a dit avoir apprécié ce mélange subtil de recherche et de finalité ; ce prix a en fait récompensé l’approche que l’Inra développe plus généralement dans ses recherches ». En 2006, l'approche interdisciplinaire novatrice qu'elle a développée pour expliquer le dépérissement des forêts et établir le rôle essentiel de la sécheresse a été une nouvelle fois honorée : le prix Jean Dufresnoy de l'Académie d'agriculture de France lui a été attribué. Autour d’un programme scientifique sur les mécanismes impliqués dans la survie du hêtre, l’engagement de son équipe dans un projet de sciences participatives « Survivors » avec des collégiens a été récompensée par le prix Science et Société de la région Lorraine en 2015 et par le prix de l’innovation pédagogique, Académie de Meurthe-et-Moselle en 2016.

Des distinctions dont elle parle avec discrétion, oubliant même qu’elle a été promu au grade de Chevalier de la Légion d’honneur en 2015 pour son engagement scientifique dans le domaine de l'adaptation des forêts au changement climatique et qu’elle aime avant tout partager avec ceux qui l’entourent.

 

 

Emmanuelle Manck, Catherine Foucaud-ScheunemannRédactrices

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Nathalie Bréda UMR Silva (INRAE, Univ. Lorraine, AgroParisTech)

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