Bioéconomie 5 min
Monique Axelos, une femme d’interfaces
Monique Axelos est actuellement Directrice scientifique Alimentation et Bioéconomie à l’Inra, devenu INRAE depuis le 1er janvier 2020. Au cours de son parcours, elle n’a cessé d’élargir son champ de vision, depuis la structure fine des aliments jusqu’au concept de bioéconomie, qui intègre tous les usages de la biomasse, qu’ils soient alimentaires ou non-alimentaires.
Publié le 22 février 2019
Depuis le 1er janvier 2020, Monique Axelos est Directrice scientifique Alimentation et Bioéconomie du nouvel institut INRAE, fruit de la fusion entre l’Inra et Irstea. Elle nous livre ses ambitions pour les années qui viennent :
« Les systèmes alimentaires, de la production à la consommation, sont au cœur de nos réflexions. Nos recherches doivent contribuer à la transition vers une alimentation plus saine et plus durable, accessible à tous. Pour y parvenir, nous considérons la santé humaine et environnementale comme un moteur, puisqu’elle nous amène à travailler sur la qualité des aliments et des régimes alimentaires, sur les effets santé des contaminants chimiques et sur les impacts environnementaux des pratiques agricoles.
La dimension de durabilité de l’alimentation nous amène aussi à nous interroger sur la réduction des pertes et des gaspillages alimentaires du champ à l’assiette. Notre ambition est qu’aucune partie des ressources biologiques, issues de la photosynthèse, ne soit perdue et que ses usages alimentaires et non alimentaires soient traités dans une perspective d’économie circulaire, permettant d’assurer le bouclage des cycles du carbone, de l’azote et du phosphore.
La bioéconomie c’est aussi faire que les déchets (urbains, agricoles) deviennent des ressources, au côté de certaines cultures dédiées, pour produire une large gamme de bioproduits, tels que des matériaux, des produits d’hygiène, des lubrifiants, mais aussi de l’énergie. Ces bioproduits viendront remplacer leurs équivalents pétrosourcés et contribueront à réduire l’impact environnemental de la production des biens et participer à l’atténuation du changement climatique.
C’est pour toutes ces raisons que les thématiques de l’Alimentation et de la Bioéconomie sont réunies dans une même direction scientifique. C’est cette production et cet usage multiple de la biomasse, qu’il nous faut optimiser, pour être en mesure de nourrir une population toujours plus nombreuse et urbaine, tout en préservant les écosystèmes et les ressources. Une ambition que nous souhaitons partager avec nos partenaires en France et à l’International ».
Monique porte un regard bien particulier sur la matière biologique. Pour elle, les protéines sont des boules dont les charges induisent des jeux d’attraction-répulsion ; les particules de silice sont des agrégats fractals (1) ; et les pectines dans la confiture sont des polymères en reptation qui forment des enchevêtrements comme dans un plat de spaghettis…Bref, quel que soit l’objet, son regard pénétrant s’enfonce au cœur des structures, pour en comprendre les mécanismes d’interactions et les propriétés qui en découlent.
Des gels aux mousses, comprendre les mécanismes structuraux universels
Tout commence avec sa thèse dans un laboratoire du CNRS sur l’agrégation des particules de silice comme modèle d’étude de la sédimentation des boues en suspension dans les eaux usées. Elle découvre par diffusion des rayons X que ces particules forment des agrégats fractals, ces formes fascinantes qui se répètent de manière emboitée quelle que soit l’échelle d’observation. Cette découverte lui vaut ses premiers contacts avec les théoriciens de la matière qui voient dans ces expériences la confirmation de leurs hypothèses.
Après son entrée à l’Inra, en 1986, Monique s’intéresse aux pectines (2). « Lors du concours d’entrée à l’Inra, j’avais bien précisé que je ne connaissais rien aux pectines, mais le jury a eu l’ouverture d’esprit de considérer mon potentiel plutôt que mes acquis ». S’est alors ouverte la période « pectines », dans les années 90, où l’on cherchait des gélifiants pour remplacer la gélatine de porc. L’objectif est alors de déterminer les structures qui sont à l’origine des propriétés physiques des gels. A nouveau, ces travaux finalisés donnent lieu à des publications avec des théoriciens spécialistes de la percolation (3).
Nous étions tous là à traquer l’universalité des phénomènes
Après les gels, Monique se consacre aux mousses, celles de nos desserts lactés par exemple. On doit leur tenue aux protéines qui constituent la paroi des bulles d’air et les stabilisent en formant des réseaux à l’interface air-eau.
Au fil de ses travaux, Monique devient experte dans le maniement des grands instruments de mesure comme le LURE, puis SOLEIL (4) ou encore le réacteur nucléaire Orphée du CEA de Saclay. Elle se souvient des nuits passées à régler les faisceaux ou à bricoler sur place des portes-échantillons. « C’était aussi des moments extraordinaires d’échanges avec les physiciens. Nous étions tous là à traquer l’universalité des phénomènes, quelle que soit l’origine du polymère ou du colloïde (5). »
Une femme d’interfaces
Monique peut finalement se définir comme une femme d’«interfaces » : interfaces au sein des matériaux, interfaces entre les disciplines physiques et biologiques, mais aussi interfaces entre l’Inra et le CNRS au sein duquel elle a toujours de nombreux collègues.
C’est sur l’invitation de Paul Colonna, alors chef du département scientifique Cepia (6), que Monique quitte la paillasse en 2006 pour codiriger avec lui ce département. Deux mandats de quatre ans, pendant lesquels Monique va œuvrer pour créer des interfaces entre les laboratoires, favoriser des rapprochements entre des chercheurs et les amener à co-construire des projets autour de la transformation de la biomasse.
Le virage de la bioéconomie
Toujours oser, se lancer, être aux interfaces
2017, Monique devient Directrice scientifique du secteur Alimentation et Bioéconomie à l‘Inra. Etendant encore plus loin les interfaces, elle fait appel aux agronomes, économistes, sociologues pour contribuer à développer la feuille de route sur la bioéconomie de l’Inra. Il s’agit de penser globalement les usages de la biomasse, qu’ils soient alimentaires ou non alimentaires, un potentiel formidable pour contribuer à un développement plus durable ! « Par exemple, illustre Monique, en extrayant l’huile de colza, il faut penser non seulement à la qualité de l’huile, mais aussi à la qualité des protéines du tourteau, un coproduit actuellement valorisé en alimentation animale. Car ces protéines pourraient être utilisées en alimentation humaine si l’on préserve leurs qualités dès la première étape de transformation.
La bioéconomie vise à optimiser les usages de la biomasse, depuis l’alimentation jusqu’à l’énergie… un défi à relever avec des enjeux mondiaux qui se déclinent aux échelles locales. Et un nouvel objectif pour Monique, qui remarque dans son parcours des pas de temps de sept ans, au bout desquels une nouvelle idée l’emmène plus loin. « Toujours oser, se lancer, être aux interfaces », telle pourrait être sa devise.
(1) Les formes fractales ont une structure autosimilaire sur une échelle étendue d’observation. Exemples dans la nature : nuages, flocons de neige, brocoli.
(2) Pectines : polysaccharides végétaux responsables notamment de la gélification des confitures.
(3) La percolation est un processus physique qui décrit, pour un système, une transition d’un état vers un autre.
(4) Soleil : accélérateur de particules qui produit le rayonnement synchrotron, une lumière extrêmement brillante qui permet d’explorer la matière. Plateau de Saclay (91).
(5) Un colloïde est une suspension de particules dont les dimensions vont du nanomètre au micromètre. La pectine (polysaccharide) et certaines protéines (ovalbumine, gélatine) forment des suspensions colloïdales.
(6) Département Cepia : Caractérisation et élaboration des produits issus de l'agriculture.
60 ans, mariée, un enfant
Parcours
- Depuis 2017 : Directrice scientifique Alimentation et Bioéconomie de l’Inra
- 2008 -2016 : Chef du département scientifique Cepia à l’Inra : Caractérisation et élaboration des produits issus de l'agriculture
- 2009-2013 : Coordinatrice du Projet européen DREAM sur le développement de modèles physique et mathématiques d’aliments pour faciliter les approches bénéfices-risques
- 1997 : Habilitation à Diriger des Recherches, Université de Nantes
- 1992-1997 : Responsable d’un module d’enseignement du DEA de Physico-Chimie des Bioproduits à l'Université de Nantes
- 1986 : Entrée à l’Inra au Laboratoire de Physico-Chimie des Macromolécules à Nantes, Centre Inra Pays de la Loire
Formation
- 1984 : Doctorat en Physique du Solide, Cristallographie, Université d’Orléans
Hobbies
- Peinture, photo, voile, aviation à moteur
Prix et distinctions
- Trophée des Etoiles de l’Europe 2014 pour le projet européen DREAM
- Trophée des Ambassadeurs 2013 pour l'organisation de l'International Conference From Model Foods to food models