illustration Monique Axelos, une femme d’interfaces
© INRAE C. Maitre

Bioéconomie 5 min

Monique Axelos, une femme d’interfaces

Monique Axelos est actuellement Directrice scientifique Alimentation et Bioéconomie à l’Inra, devenu INRAE depuis le 1er janvier 2020. Au cours de son parcours, elle n’a cessé d’élargir son champ de vision, depuis la structure fine des aliments jusqu’au concept de bioéconomie, qui intègre tous les usages de la biomasse, qu’ils soient alimentaires ou non-alimentaires.

Publié le 22 février 2019

Monique porte un regard bien particulier sur la matière biologique. Pour elle, les protéines sont des boules dont les charges induisent des jeux d’attraction-répulsion ; les particules de silice sont des agrégats fractals (1) ; et les pectines dans la confiture sont des polymères en reptation qui forment des enchevêtrements comme dans un plat de spaghettis…Bref, quel que soit l’objet, son regard pénétrant s’enfonce au cœur des structures, pour en comprendre les mécanismes d’interactions et les propriétés qui en découlent.

Des gels aux mousses, comprendre les mécanismes structuraux universels

Tout commence avec sa thèse dans un laboratoire du CNRS sur l’agrégation des particules de silice comme modèle d’étude de la sédimentation des boues en suspension dans les eaux usées. Elle découvre par diffusion des rayons X que ces particules forment des agrégats fractals, ces formes fascinantes qui se répètent de manière emboitée quelle que soit l’échelle d’observation. Cette découverte lui vaut ses premiers contacts avec les théoriciens de la matière qui voient dans ces expériences la confirmation de leurs hypothèses.

Après son entrée à l’Inra, en 1986, Monique s’intéresse aux pectines (2). « Lors du concours d’entrée à l’Inra, j’avais bien précisé que je ne connaissais rien aux pectines, mais le jury a eu l’ouverture d’esprit de considérer mon potentiel plutôt que mes acquis ». S’est alors ouverte la période « pectines », dans les années 90, où l’on cherchait des gélifiants pour remplacer la gélatine de porc. L’objectif est alors de déterminer les structures qui sont à l’origine des propriétés physiques des gels. A nouveau, ces travaux finalisés donnent lieu à des publications avec des théoriciens spécialistes de la percolation (3).

Nous étions tous là à traquer l’universalité des phénomènes

  Après les gels, Monique se consacre aux mousses, celles de nos desserts lactés par exemple. On doit leur tenue aux protéines qui constituent la paroi des bulles d’air et les stabilisent en formant des réseaux à l’interface air-eau.

Au fil de ses travaux, Monique devient experte dans le maniement des grands instruments de mesure comme le LURE, puis SOLEIL (4) ou encore le réacteur nucléaire Orphée du CEA de Saclay. Elle se souvient des nuits passées à régler les faisceaux ou à bricoler sur place des portes-échantillons. « C’était aussi des moments extraordinaires d’échanges avec les physiciens. Nous étions tous là à traquer l’universalité des phénomènes, quelle que soit l’origine du polymère ou du colloïde (5). »

Une femme d’interfaces

Monique peut finalement se définir comme une femme d’«interfaces » : interfaces au sein des matériaux, interfaces entre les disciplines physiques et biologiques, mais aussi interfaces entre l’Inra et le CNRS au sein duquel elle a toujours de nombreux collègues.

C’est sur l’invitation de Paul Colonna, alors chef du département scientifique Cepia (6), que Monique quitte la paillasse en 2006 pour codiriger avec lui ce département. Deux mandats de quatre ans, pendant lesquels Monique va œuvrer pour créer des interfaces entre les laboratoires, favoriser des rapprochements entre des chercheurs et les amener à co-construire des projets autour de la transformation de la biomasse.

Le virage de la bioéconomie

Toujours oser, se lancer, être aux interfaces

  2017, Monique devient Directrice scientifique du secteur Alimentation et Bioéconomie à l‘Inra. Etendant encore plus loin les interfaces, elle fait appel aux agronomes, économistes, sociologues pour contribuer à développer la feuille de route sur la  bioéconomie de l’Inra. Il s’agit de penser globalement les usages de la biomasse, qu’ils soient alimentaires ou non alimentaires, un potentiel formidable pour contribuer à un développement plus durable ! « Par exemple, illustre Monique, en extrayant l’huile de colza, il faut penser non seulement à la qualité de l’huile, mais aussi à la qualité des protéines du tourteau, un coproduit actuellement valorisé en alimentation animale. Car ces protéines pourraient être utilisées en alimentation humaine si l’on préserve leurs qualités dès la première étape de transformation.

La bioéconomie vise à optimiser les usages de la biomasse, depuis l’alimentation jusqu’à l’énergie… un défi à relever avec des enjeux mondiaux qui se déclinent aux échelles locales. Et un nouvel objectif pour Monique, qui remarque dans son parcours des pas de temps de sept ans, au bout desquels une nouvelle idée l’emmène plus loin. « Toujours oser, se lancer, être aux interfaces », telle pourrait être sa devise.

 

(1) Les formes fractales ont une structure autosimilaire sur une échelle étendue d’observation. Exemples dans la nature : nuages, flocons de neige, brocoli.

(2) Pectines : polysaccharides végétaux responsables notamment de la gélification des confitures.

(3) La percolation est un processus physique qui décrit, pour un système, une transition d’un état vers un autre.

(4) Soleil : accélérateur de particules qui produit le rayonnement synchrotron, une lumière extrêmement brillante qui permet d’explorer la matière. Plateau de Saclay (91).

(5) Un colloïde est une suspension de particules dont les dimensions vont du nanomètre au micromètre. La pectine (polysaccharide) et certaines protéines (ovalbumine, gélatine) forment des suspensions colloïdales.

(6) Département Cepia : Caractérisation et élaboration des produits issus de l'agriculture.

Pascale MollierRédactrice

Contacts

Monique AxelosDirectrice scientifique Alimentation et Bioéconomie INRAE