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Métamorphose du monde rural

PARUTION - L’ouvrage retrace en cartes et en chiffres la métamorphose du monde rural, de l’agriculture et des agriculteurs. Il montre que ces derniers demeurent des acteurs importants du développement local en dépit de leur effectif réduit.

Publié le 30 janvier 2020

illustration Métamorphose du monde rural
© INRAE

L’agriculture a connu de profondes transformations au cours du dernier demi-siècle. Un métier familial est devenu une profession individuelle, un savoir-faire coutumier est devenu une compétence reconnue par les diplômes. Dans le même temps, les économies dans lesquelles s’inscrit l’activité agricole ont été bouleversées. L’emploi rural a été renouvelé avec l’émergence de nouveaux services aux populations, l’occupation du sol a été soumise à des pressions et des enjeux insoupçonnables auparavant.

 

Les auteurs

Hervé Le Bras est démographe et historien, directeur de recherches émérite à l’Institut national d’études démographiques (INED), et directeur d’études à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS). Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur la société française.

Bertrand Schmitt est directeur de recherche en économie à l’Institut national de recherche pour l’agriculture, l’alimentation et l’environnement (INRAE). Ses recherches ont notamment porté sur les déterminants du développement des territoires ruraux et périurbains. Il a dirigé la Délégation à l’expertise, à la prospective et aux études (Depe) d'INRAE.

Métamorphose du monde rural

Agriculture et agriculteurs dans la France actuelle

Editions Quae - 152 pages, 30 janvier 2020 – 20 euros

L'ouvrage a été présenté par ses auteurs, et par Philippe Tillous-Borde - auteur de la préface et président de la Fondation Avril dont un groupe de compétences a contribué à ces travaux - à l'occasion du Salon international de l'Agriculture de Paris, le 29 février dernier. A revoir en vidéo :

EXTRAITS

Les agriculteurs souffrent d’un double handicap dans l’opinion. D’une part, comme les Français ont en grande majorité des ancêtres paysans à une, deux ou trois générations de distance, ils estiment avoir progressé dans la société en devenant d’abord ouvriers, puis en accédant aux classes moyennes et supérieures. L’agriculture s’identifie alors au passé. La seconde raison tient à la montée en puissance des métropoles, devenues le symbole de la modernité et l’objet de l’attention des politiques. Dès lors, reléguée dans le passé et dans la ruralité, l’extraordinaire transformation de l’agriculture française et de ses acteurs passe souvent inaperçue alors qu’il s’agit d’une véritable métamorphose. (...)

Métamorphose sociale d’abord. Depuis la plus haute antiquité, sans doute depuis les débuts de l’agriculture, la culture était l’affaire d’un groupe humain, un clan d’abord puis rapidement une famille. Dans un ouvrage consacré à la famille bretonne au XIXe siècle, l’ethnologue Martine Segalen a montré à quel point une exploitation ne pouvait être tenue que par un ménage et d’éventuels domestiques*. Aujourd’hui, très largement, agriculteur est un métier personnel. La majorité des conjoints des agriculteurs travaillent dans d’autres branches de l’économie. Cela est possible en raison d’une prodigieuse progression de l’éducation générale et technique. En 1968, 94 % des agriculteurs avaient pour tout bagage le certificat d’études. Aujourd’hui, plus de 70 % ont un diplôme technique, et en majorité au moins un baccalauréat. En matière de formation, les agriculteurs ont dépassé les ouvriers et peuvent être comparés aux artisans et patrons de petites et moyennes entreprises.

Métamorphose spatiale ensuite. Les plus gros contingents d’agriculteurs ne vivent pas dans les régions les plus reculées en voie de dépopulation. Ils résident dans des communes en croissance démographique autant que les cadres. Ils ne sont pas rivés à leur sol, mais migrent comme les autres Français lorsque des opportunités se présentent ou lorsque l’extension des agglomérations rend difficile leur activité. Même lorsqu’ils sont installés loin des grandes villes, la ruralité n’est pas synonyme de problèmes sociaux. On montrera au chapitre 5 que les espaces ruraux, s’ils abritent une population populaire aux revenus souvent modestes, sont moins touchés par les difficultés sociales graves, la pauvreté, le chômage, l’absence d’éducation, le délitement des liens familiaux notamment.

Les formes de l’agriculture continuent donc de reposer sur des traditions au moins autant que sur des facteurs physiques, climatiques ou pédologiques.

Pour autant, les agriculteurs ne sont pas coupés de leur passé. L’extraordinaire diversité des comportements régionaux et locaux témoigne de la continuité avec une histoire de longue durée, comme plusieurs cartes le montreront. Les formes de l’agriculture continuent donc de reposer sur des traditions au moins autant que sur des facteurs physiques, climatiques ou pédologiques. Il est important de le montrer et de le souligner, car il ne saurait exister de solutions nationales aux problèmes de l’agriculture sans déclinaison locale.

On a commencé en évoquant les handicaps des agriculteurs dans l’opinion. Peut-être leur plus fort handicap est-il en réalité la conséquence de leur réussite. Si leur proportion dans la population active et leur nombre ont autant chuté depuis un demi-siècle, c’est à cause de l’extraordinaire modernisation de leur métier. Le progrès technique et l’accroissement des compétences ont permis à dix fois moins d’actifs agricoles de produire plus et mieux. De ce fait, les agriculteurs, qui composaient encore le groupe le plus important dans de nombreuses communes il y a cinquante ans, ont vu leur importance numérique décroître rapidement et, avec elle, leur influence politique. Acteurs essentiels du territoire, ils n’en maîtrisent plus la politique, donc la destinée, et ils en souffrent.

* Segalen M., 1980. Mari et femme dans la société paysanne, Flammarion.