
Agroécologie Temps de lecture 6 min
François Tardieu, un prix modèle
François Tardieu se consacre aux liens entre l’agronomie et les disciplines « dures ». Il analyse le comportement des plantes soumises à des contraintes environnementales, créant des modèles devenus références. À son actif, 130 articles dans des revues à comité de lecture, avec des papiers dépassant 300 citations. Directeur du Lepse pendant 8 ans, il l’engage dans le phénotypage haut débit et le hisse au rang de leader mondial de sa discipline.
Publié le 05 novembre 2014
Révolutions autour de la plante
1984. Tranchées verticales, horizontales, carottes de sol pour chercher les racines… Dans les champs de maïs de l’Inra, un jeune thésard creuse. Ça le chiffonne lui, ces approximations qui traduisent mal ce qu’il observe sur le terrain. Lui qui adore les modèles « mais se soigne grâce aux statistiques », plonge à pleine mains dans les équations et compose de nouvelles références sur le transfert d’eau dans le sol. Révolution dans le monde du sol ! Abondamment cité dans la littérature agronomique, son travail est récompensé par la Soil Science Society of America.
Ça le taraude lui, les stomates, ces minuscules ouvertures à la surface des feuilles qui régulent température, échanges gazeux et eau. Leurs comportements diffèrent des modèles existants. Rebelote. Il crée, avec des collaborateurs d’Outre-manche un modèle différent pour expliquer ce qu’il voit, c’est-à-dire un stomate régulé à la fois par une hormone et par l’état hydrique des feuilles. Ça décoiffe. Le modèle devient la base d’une classification d’espèces largement utilisée en écologie. Pour la première fois, la modélisation entre dans la physiologie, peu versée dans les maths à cette époque. François Tardieu est content : « Je suis fier d’avoir posé ma pierre à l’édifice ! Attaquer un concept qui ne sera plus pensé pareil après mon passage est une grande satisfaction ! »
1991. Il embraye sur la croissance et le développement des plantes en condition de stress. Ça l’embête un peu, lui, ces mesures de croissance contradictoires de la plante en carbone ou en volume. Il génère des connaissances et modèles essentiels pour la simulation du comportement des plantes en conditions de température et état hydriques fluctuants. Principale motivation du chercheur ? « Avoir les yeux qui pétillent quand je raconte mon travail ».
1992. L’agronomie prend en compte les débuts de la physiologie moléculaire. L’Inra lui propose de créer un laboratoire d’écophysiologie pilote à Montpellier. On lui en donne les moyens. À 38 ans. C’est la naissance du Lepse. « Construire de novo une équipe et un programme de recherches est une expérience passionnante. » François s’inspire à l’étranger, et monte son équipe. Dix ans plus tard le labo est sous les feux de la rampe, avec un « modèle des courbes de réponse à la sécheresse en fonction de la génétique des plantes ». Une première. L’article issu de ces travaux est cité deux cent fois !

1998. Il imagine déjà demain, le haut débit, la génétique quantitative. Ça l’agace lui, les innombrables mesures quotidiennes en serres ou de laboratoire effectuées par son équipe. Tenace, il ne veut louper aucune opportunité. Ce directeur investit dans deux plateformes de phénotypage. Bingo. Un des premiers au monde à automatiser et à robotiser ses mesures à l’aide d’imageries, de capteurs de déplacement, le Lepse se propulse, avec dix ans d’avance dans l’ère de l’écophysiologie à haut débit. Équipes et direction renouvelées, il est devenu l'un des 5 % meilleurs laboratoires mondiaux de sa discipline, avec un rythme de publication dans des revues scientifiques à comité de lecture à 18 par an.
Drops, Phénome… Aujourd’hui François coordonne des projets financés à hauteur de 8 à 24 millions d'euros autour des problématiques d’adaptation des plantes au changement climatique, avec des labo européens et des compagnies semencières.
« Le monde scientifique international actuel est dominé par des grands mercenaires qui changent les sujets de recherche de leurs équipes pour être à la mode de Nature. L’Inra est un bon antidote en ayant de la suite dans les idées. Je n’ai pas toujours été soutenu initialement dans mes choix mais on m’a toujours permis de les mener à bien, même quand ce n'était pas (encore) la mode ! Je souhaite la même chance aux jeunes chercheurs »
Mini - CV
- 61 ans, 5 enfants
- 1977 : Ingénieur Agronome (INA PG)
- 1984 : Thèse en écophysiologie
- 1993-2003 : Directeur du Laboratoire d'écophysiologie des plantes sous stress environnementaux (Lepse)
- 2002-2005 : Chef de département adjoint environnement et agronomie, en charge du programme d’écophysiologie
- 2014 : Responsable d’équipe au Lepse, coordinateur projet EU FP7 LCP DROPS (2010-2015) 9 M€, coordinateur ANR-IA French Plant Phenomic Network (Phenome), 24 M€, président de la société InterDrought
Prix
- Soil Science Society of America for work on roots and water transfer (2001)
- Laurier d'excellence de l'Inra 2014