Biodiversité 4 min

Epidisarth, un projet qui repose sur les sciences participatives pour mieux gérer l’arrivée d’espèces envahissantes en France

Donner à la population les clés pour reconnaître et signaler des insectes ravageurs qui ne sont pas encore présents en France, tel est un des objectifs du projet Epidisarth, qui vise à mieux connaître et lutter contre quatre bioagresseurs menaçant de s’étendre en Europe, dont un seul est déjà sur le territoire français. Le Centre de Biologie pour la Gestion des Populations (CBGP) de Montpellier, unité de recherche INRAE, s’est impliqué dans le projet européen Epidisarth en modélisant l’arrivée de ces futurs envahisseurs en France et en développant des outils de diagnostics contre eux, notamment une application adaptée au grand public.

Publié le 13 août 2021

illustration Epidisarth, un projet qui repose sur les sciences participatives pour mieux gérer l’arrivée d’espèces envahissantes en France
© INRAE, Jean-Claude STREITO

Des ravageurs attendus au tournant

Fulgore tacheté (Lycorma delicatula), longicorne à col rouge (Aromia bungii), scarabée japonais (Popillia japonica) : ces noms ne vous disent rien ? Normal : ces dangereux insectes ne sont pas en France métropolitaine… pas encore. D’après Jean-Claude Streito et Marguerite Chartois, ingénieurs INRAE au CBGP, ce n’est qu’une question de temps avant que ces organismes de quarantaine arrivent chez nous, notamment le longicorne à col rouge et le scarabée japonais, déjà de l’autre côté de la frontière italienne. Ils rejoindraient alors la punaise diabolique (Halyomorpha halys), sur notre sol depuis 2012.

Fulgore tacheté (Lycorma delicatula)
Fulgore tacheté (Lycorma delicatula) ©INRAE, CBGP

Ne vous laissez pas leurrer par la beauté de ces quatre arthropodes : tous sont des ravageurs en puissance de cultures très variées, des arbres fruitiers à la vigne en passant par certaines grandes cultures. En réaction, des structures scientifiques issues de six pays européens se sont associées en mars 2021 pour lancer le projet Epidisarth sous l’égide du réseau Euphresco, spécialisé dans la coordination de recherches internationales dans le domaine phytosanitaire. L’objectif d’Epidisarth est de prévenir (plutôt que guérir) les implantations de ces insectes dans les pays européens encore épargnés, et développer des moyens de lutte dans les pays envahis.

Mobiliser le grand public avec l’application Agiir

Longicorne à col rouge (Aromia bungii)
Longicorne à col rouge (Aromia bungii) ©INRAE, CBGP

C’est en prévention qu’intervient le CBGP. « Nous avons proposé à Epidisarth nos compétences de détection précoce des organismes non encore présents en France, et de suivi de ceux déjà installés sur le territoire national », explique Jean-Claude Streito. Le CBGP travaille sur ces espèces menaçantes en partenariat avec l'unité mixte de recherche Santé et Agroécologie du Vignoble (SAVE), qui développe l'application gratuite Agiir permettant déjà au grand public de signaler plusieurs espèces indésirables, dont la punaise diabolique.

Mais rajouter trois nouvelles espèces dans Agiir n’est pas une mince affaire. « Nous devons d’abord mettre au point une clé de détermination morphologique utilisable par le grand public pour identifier facilement ces trois insectes, ce qui demande du travail », détaille Jean-Claude Streito. Le rajout de ces espèces dans l’application devrait coïncider avec sa mise à jour, le CBGP ayant proposé plusieurs améliorations de l’ancienne version.

Derrière Agiir se cache l’espoir de pouvoir contrer encore quelques années ces envahisseurs. La DGAL (Direction générale de l’alimentation) met déjà des moyens dans la surveillance de ces ravageurs de quarantaine mais grâce à Agiir, le grand public pourra signaler ce qu’il voit sans a priori. Une approche complémentaire de celle des autorités et des naturalistes, qui font beaucoup moins d’erreurs d’identification mais sont en revanche moins nombreux.

Il n’empêche : les signalements de punaise diabolique en France effectués via l’application Agiir entre 2012 et 2019 sont majoritairement le fait du grand public, et constituent une source très précieuse d’informations pour modéliser sa présence et sa progression en France métropolitaine. « On a pu voir clairement quand la punaise diabolique arrivait quelque part par la forte augmentation des signalements, malgré le taux d’erreur important », rajoute Marguerite Chartois.

Une réussite de bon augure pour le rajout sur l’application, à partir du printemps prochain, des trois nouveaux ravageurs. Afin de suivre la réactivité du public, les chercheurs analyseront tous les 15 jours les nouvelles photos postées par les usagers.

Plusieurs volets d’action contre les nuisibles

Scarabée japonais (Popillia japonica)
Scarabée japonais (Popillia japonica) ©INRAE, CBGP

D’ici là, le CBGP a du pain sur la planche : « nous devons aussi développer des outils moléculaires de diagnostic du longicorne à col rouge, du scarabée japonais et du fulgore tacheté, afin de compléter l’identification morphologique difficile voire impossible pour les œufs et les larves », complète Jean-Claude Streito. Différents aspects de la biologie de ces ravageurs sont par ailleurs étudiés par d’autres partenaires d’Epidisarth, notamment les méthodes de lutte, comme par exemple les pièges à phéromones. 

Mais pour l’instant, peu sont disponibles contre ces insectes. Tant qu’ils ne sont pas présents sur le territoire, il est difficile d’effectuer des essais de méthode de lutte car il faudrait travailler dans des installations confinées. L’intérêt d’Epidisarth est donc d’associer des pays où ces insectes sont présents, et où il est possible d’effectuer des expérimentations, et des pays où ils sont absents et où les scientifiques peuvent anticiper et se préparer à leur arrivée.

Punaise diabolique (Halyomorpha halys)
Punaise diabolique (Halyomorpha halys) ©INRAE, CBGP

Dernier volet d’Epidisarth traité au CBGP, et non des moindres : la modélisation des zones les plus favorables en France à une implantation du fulgore, du longicorne ou du scarabée japonais, en tenant compte des conditions environnementales et de leur fluctuation liée au réchauffement climatique. Une manière d’épauler les services environnementaux dans la traque de ces intrus très attendus, et de limiter le risque de crise sanitaire. « Pour avoir une chance de gérer les invasions biologiques, il faut les détecter très vite. C’est pour cela qu’on anticipe en permettant l’identification dans Agiir d’insectes qui ne sont pas encore là. C’est également l’occasion de sensibiliser la population à prendre garde à ne pas transporter d’insectes d’un pays à l’autre », conclut Jean-Claude Streito.

Référence :
Streito, JC., Chartois, M., Pierre, É., et al. (2021). Citizen science and niche modeling to track and forecast the expansion of the brown marmorated stinkbug Halyomorpha halys (Stål, 1855). Scientific Reports, 11, 11421. https://doi.org/10.1038/s41598-021-90378-1

 

François MALLORDYRédacteur

Contacts

Marguerite CHARTOIS Centre de Biologie pour la Gestion des Populations (CBGP)

Jean-Claude STREITO Centre de Biologie pour la Gestion des Populations (CBGP)

Le centre