illustration Claire Weill, des sciences physiques à l’environnement : matières à réflexion
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Changement climatique et risques

Claire Weill, des sciences physiques à l’environnement : matières à réflexion

Chargée de mission à la Direction des relations internationales (DRI) d’INRAE, Claire Weill est passée il y a 20 ans de l’échelle microscopique de la physique à l’échelle mondiale de l’environnement. Mettant ses compétences scientifiques au service du dialogue entre les chercheurs et les décideurs, elle s’est toujours efforcée de répondre à une même question : comment les choses peuvent-elles s’organiser ? Flash-back sur son parcours, une « micro-histoire » du développement durable, au même titre que son récent ouvrage sur un environnementaliste pionnier, Konrad von Moltke.

Publié le 20 avril 2021

La rigueur scientifique et procédurale, comme la volonté de réunir autour de grandes causes, tissent le fil rouge de ma carrière

Aujourd’hui encore, Claire Weill reste « profondément marquée » par sa formation de physicienne. A l’École Normale Supérieure d’abord, auprès de Pierre-Gilles de Gennes au Laboratoire de Physique de la Matière Condensée du Collège de France, surtout. « J’y ai alors découvert des questions qui me portent toujours : quelles structures universelles nous unissent dans la complexité et la diversité du monde, et peuvent nous faire avancer ensemble ? », reconnaît Claire. La culture dans laquelle elle baigne, celle d’une science économe en moyens « où le simple est à la fois élégant et puissant », continue à la guider. Après une thèse expérimentale sur les propriétés des polymères cristaux liquides, Claire rejoint le Corps des Ponts et Chaussées. En 1992, elle crée une équipe de recherche en physique des milieux granulaires qu’elle dirigera jusqu’en 1999 : « C’était une physique ‘du tas de sable’, transposable au génie civil », explique-t-elle.

Le développement durable d’un intérêt pour l’environnement

À l’aube du 3e millénaire, Claire quitte la paillasse pour l’interface des sciences et des politiques d’environnement, place qu’elle ne quittera plus. « Étape fondatrice » de sa carrière, elle prend en charge pendant 3 ans les relations avec la Russie et les pays candidats à l’Union Européenne, à la Mission Interministérielle de l’Effet de Serre. Celle-ci est alors présidée par Michel Mousel, « un humaniste environnementaliste de premier plan, qui a placé la recherche au centre de nos travaux ». En 2000, Claire représente la France au Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec) à Katmandou, lors de l’adoption du Rapport spécial sur les scénarios d’émissions.

Décider dans un monde incertain : les risques sanitaires et environnementaux

En 2002, elle rejoint l’Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri), où elle s’occupe du programme Risques, précaution et chimie : « Après les crises sanitaires de l’époque, il fallait travailler sur l’évolution de la perception des risques et les réponses apportées par les États et l’Union Européenne ». Elle organise notamment en 2002 avec Konrad von Moltke, qui fera près de 20 ans plus tard l’objet de son livre (voir encadré ci-dessous), un atelier sur la mise en œuvre européenne du principe de précaution. Elle accompagne également l’élaboration du projet REACH1, qui aboutira en 2007 au règlement encadrant la fabrication, l’importation et l’utilisation des substances chimiques dans l’Union européenne. « L’Iddri a été une expérience riche et stimulante, car j’y ai librement exploré et beaucoup écrit. Quand j’ai quitté la recherche, j’ai été hantée par l’idée de ne plus produire intellectuellement », admet Claire. À la Ville de Paris, elle participe ensuite à la création d’un Institut d’Études Avancées « un lieu privilégié où des chercheurs du monde entier, principalement en sciences humaines et sociales, échangent avec d’autres scientifiques de disciplines et intérêts variés, et explorent de nouvelles questions ».

Mobiliser les scientifiques pour un nouvel accord sur le climat

C’est en 2013 que Claire rejoint l’Inra (aujourd'hui devenu INRAE), chargée de mission auprès du directeur scientifique environnement. Elle se retrouve secrétaire générale de la conférence scientifique internationale ‘Notre Avenir Commun face au Changement Climatique’, qui se tient à Paris fin 2015. « En amont de la COP212, le climat de collaboration entre les administrations, instituts de recherche et agences est à la mesure de l’accueil par la France de négociations-clés sur les changements climatiques », se souvient-elle. Ce forum scientifique de 4 jours a représenté un tournant pour les scientifiques, « plus seulement lanceurs d’alerte mais aussi producteurs de connaissances scientifiques pour informer des solutions ». Lors de cette expérience intense « plutôt opérationnelle », où elle n’a « jamais autant travaillé », Claire s’est notamment assurée d’une présence significative de chercheurs de pays et du Sud, et en sciences humaines et sociales, à la conférence.

Nouvelles variables : les enjeux environnementaux en mutation

À partir de 2015, Claire œuvre à l’interface entre les sciences et les politiques environnementales en France et à l’international, sur des thématiques de plus en plus larges. Elle suit activement l’initiative "4 pour 1000" qui a pour objectif d’accroître la teneur en matière organique et la séquestration de carbone dans les sols, tout en étant mise à disposition à mi-temps par l’nra au secrétariat international de Future Earth à Paris. Pour ce programme sur les changements globaux, elle intervient notamment dans la plénière du Giec à Bangkok en 2017.
En 2018, elle intègre l’équipe Projets Prioritaires Internationaux au sein de la Darese3de l’Inra. « Plusieurs sujets d’importance majeure sont traités dans ces programmes - les sols, les forêts et le changement climatique, mais aussi les maladies animales qui peuvent être transmises à l’homme ». Ô combien d’actualité, ce dernier conduit notamment au lancement en 2021 de l’initiative PREZODE, qui vise à anticiper et prévenir l’émergence des maladies zoonotiques. Depuis 2020, elle œuvre à augmenter les contributions des scientifiques aux instances d’expertise associées aux conventions climat, biodiversité et diversification et à l’atteinte des 17 Objectifs de développement durable d’ici 2030.

Une « micro-histoire » de l’environnement à travers Konrad von Moltke

Après des décennies d’écriture d’articles, de notes et de rapports et d’édition d’ouvrages, Claire Weill vient de publier son premier livre4,
« Petite et Grande Histoire de l’environnement : Konrad von Moltke (1941-2005) ». C’est lors d’une réunion en hommage à ce pionnier du développement durable que Claire a pris la pleine mesure de l’étendue de ses apports. Elle a ensuite décidé de consacrer un ouvrage à la trajectoire exceptionnelle de ce « citoyen du monde », issu d’une noble famille prussienne et grand penseur et artisan de la cause environnementale. En interrogeant partout dans le monde les personnes qui l’ont côtoyé et en fouillant ses écrits, « très élaborés, qui portent l’empreinte de sa formation d’historien et de mathématicien », elle a pu réunir un matériau exceptionnellement riche. « Avec Konrad von Moltke, on peut suivre le mouvement environnementaliste et l’élaboration des politiques d’environnement des années 1970 au milieu des années 2000, en Europe puis en Amérique du Nord et en Chine », explique Claire. « Le combat acharné qu’il a mené au sein et à la lisière des institutions a contribué à faire bouger les lignes en faveur du développement durable ». Tels qu’ils sont racontés par l’autrice, les engagements de Konrad von Moltke donnent aux non-experts des clés pour accéder aux lieux, aux idées et aux actions qui ont rendu incontournable la prise en compte des questions d’environnement partout sur le globe.

Notes
1 Registration, Evaluation, Authorization and restriction of Chemicals : Enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des substances chimiques
2
Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques
3 Direction de l'Action Régionale, de l'Enseignement Supérieur et de l'Europe
4 Editions Muséo, 480 pages, parution : 11 février 2021.

 

Emmanuelle ManckRédactrice

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Claire Weill