Accélérer les transitions
Allier qualité nutritionnelle et durabilité de nos régimes alimentaires semble possible, accessible. Comment faire alors pour accélérer la transition de tous vers un régime sain et durable ? Taxation, sensibilisation, éducation,… les leviers d’action de politique publique sont multiples. Tour d’horizon.
Publié le 06 janvier 2023
Agir sur les prix. Ce levier d’action semble incontournable pour les politiques publiques face à des consommateurs pour qui le prix est un critère majeur.
Les taxes et leurs effets
Première stratégie, taxer les produits moins bons pour la santé car, pour les économistes, une politique de taxation permet sous certaines conditions d’obtenir à moindre coût une évolution des choix de consommation. C’est le principe de la « taxe soda » mise en place en France en 2012, puis révisée en 2018, dont l’objectif est de favoriser une baisse de la consommation de boissons sucrées. Adoptée dans une quarantaine de pays, cette taxation semble jouer son rôle, en particulier dans les pays les plus adeptes de sodas, tels que les États-Unis et le Royaume-Uni, où la consommation de ces boissons a diminué. Des économistes d’INRAE ont montré que ces taxes pouvaient avoir des effets significatifs sur les achats mais variables selon le type et les niveaux de taxe. Ainsi la taxe mise en place au Royaume-Uni, proportionnelle à la teneur en sucre du produit, a permis une nette baisse d’achat de ces boissons, alors que la taxe française, instaurée en 2012 et qui était indépendante de la teneur en sucre, a induit peu de changements dans les consommations. Aussi en 2018, la France a adopté le même système de taxation qu’au Royaume-Uni. Au-delà du fait de réinterroger les décisions d’achat, ces taxes renforcent les messages sur les conséquences sur la santé d’une consommation excessive de sodas.
Les taxes et les subventions doivent intégrer les enjeux d’inégalités sociales et économiques.
La mise en place de ce type de taxes peut aussi avoir comme effet d’inciter les industriels à réduire la teneur en sucre des produits commercialisés. Leurs vertus donnent alors des idées. Et si on taxait également les produits qui ont un impact négatif sur l’environnement ? Cécile Bonnet, économiste INRAE de l’École d’économie de Toulouse (TSE) s’est penchée sur l’effet que pourrait avoir la mise en place d’une taxe carbone sur la viande : les travaux montrent qu’une taxe indexée sur les émissions de CO2 issues de la production de viande entraînerait une augmentation des prix et donc une baisse de la consommation des produits à plus fort impact en termes d’émissions de GES. Seulement, taxer les produits, c’est reporter les coûts sur les consommateurs, avec des conséquences économiques plus fortes sur les foyers les plus modestes. Une stratégie complémentaire pourrait alors être de subventionner les produits bons pour la santé. Une étude montre qu’en France, subventionner les fruits et légumes à hauteur de 20 % permettrait une augmentation de leur consommation de 8 à 10 %.
Des aliments sains pour tous
L’accès de tous à une alimentation saine et durable semble être le nœud du problème, d’autant que ce sont les foyers les plus modestes qui sont les plus grands consommateurs de produits de moins bonne qualité nutritionnelle. Dans le cadre du projet Opticourse, Nicole Darmon, épidémiologiste à l’unité MOISA à Montpellier, montre que manger sain et durable est possible même avec un petit budget. Cette expérimentation en conditions réelles, en partenariat avec deux supermarchés, a montré qu’apposer un logo « manger top » permet de guider les clients vers des choix d’aliments bon marché et nutritifs, et d’agir sur les achats. En parallèle, chercheurs et animateurs ont organisé des ateliers collectifs ludiques centrés sur le goût, la nutrition et le prix, proposant des astuces pour améliorer la qualité nutritionnelle des achats sans se ruiner, tout en se faisant plaisir du point de vue gustatif. Dans la même idée, à Dijon (lire entretien avec Sophie Nicklaus), la métropole envisage d’expérimenter les chèques alimentaires pour aider les plus défavorisés à acheter des fruits, des légumes et des légumineuses.
Informer et sensibiliser pour mieux guider
Informer et sensibiliser sont les maîtres mots des politiques publiques pour guider les consommateurs vers une alimentation plus durable. Pour cela, l’État s’appuie sur le Programme national nutrition santé (PNNS). Lancé en 2001, il s’agit d’un plan de santé publique visant à améliorer les habitudes alimentaires et ainsi l’état de santé de la population. Il se déploie au travers de diverses actions, dont la mise en place, en 2017, d’un système d’affichage, le Nutriscore, pour permettre au consommateur de faire des choix éclairés entre des produits de même catégorie. Développé par des chercheurs de différents organismes dont INRAE, ce score est déterminé grâce à un calcul qui classe en cinq catégories, de A à E (du vert au rouge), les données nutritionnelles des aliments pour 100 g de produit. Les chercheurs ont montré que le Nutriscore peut améliorer la qualité nutritionnelle des achats de 4 % et que, plus l’étiquetage est simple à comprendre, plus il est efficace ! Mais pour encore plus d’efficacité, il conviendrait que toutes les marques l’adoptent, ce qui est encore loin d’être le cas. La réglementation européenne interdisant à ce jour d’imposer cet étiquetage aux marques, seule une fraction d’entre elles s’est engagée à le mettre en place.
Une étude de l’Observatoire de la qualité de l’alimentation (Oqali, centre INRAE d’Ivry-sur-Seine) montre que les parts de marché des produits avec Nutriscore varient de 10 à 50 % selon les secteurs alimentaires.
Le Nutriscore
> En France, 500 entreprises ont adopté l’affichage du Nutriscore, soit 50 % des parts de marché alimentaire.
> Sur l’ensemble des produits notés, 31,7 % sont classés A, 9,6 % sont classés E.
> Pour certains produits gras comme les huiles végétales (olive, noisette…), le meilleur score possible est C.
> 94 % des Français sont favorables au Nutriscore.
> 1 Français sur 2 déclare avoir changé au moins une habitude d’achat grâce au Nutriscore.
Quid de l'affichage environnemental ?
Si le Nutriscore permet de guider les achats vers des produits bons pour la santé, on peut s’interroger sur un possible affichage de l’impact environnemental des produits. C’est d’ailleurs une volonté des pouvoirs publics qui, dans le cadre de la loi relative à la lutte contre le gaspillage alimentaire et à l’économie circulaire, ont engagé une expérimentation de 18 mois pour définir, d’ici fin 2021, un affichage environnemental destiné aux produits alimentaires. Il existe de nombreux systèmes aux formats variés (score, label, etc.) qui prennent en compte des indicateurs très divers, parmi lesquels, souvent, l’empreinte carbone. Dans ce contexte, les scientifiques d’INRAE étudient quel système serait le plus efficace pour guider les consommateurs. Les résultats du projet Lab2Green montrent que l’étiquetage environnemental, quel que soit son format, a un effet significatif sur la qualité environnementale des achats des consommateurs. Par ailleurs, l’approche de type « feu tricolore » est plus efficace qu’un modèle quantitatif (affichage de la quantité de CO2émise par exemple). Reste à savoir quel serait l’impact d’apposer un étiquetage environnemental à côté de celui du Nutriscore, et quels choix seraient faits par les consommateurs dans le cas d’affichages antagonistes. En parallèle de ces études, l’ADEME et INRAE ont développé la base de données Agribalyse, permettant de connaître l’impact environnemental d’un produit, depuis la production agricole jusqu’à son achat ou sa préparation par le consommateur. Une base de données sur laquelle pourrait s’appuyer le système d’affichage qui sera retenu.
La question des messages de sensibilisation
C’est aussi dans le cadre du PNNS que sont déclinés les messages de sensibilisation : « Manger au moins 5 fruits et légumes par jour », « Pour votre santé, évitez de manger trop gras, trop sucré, trop salé »… Nous avons tous entendu ces messages, mais pour autant contribuent-ils à nous faire changer nos habitudes alimentaires ? Pour Vincent Requillart, économiste INRAE à TSE, ces campagnes d’information ont généralement des effets positifs sur la consommation, mais leur portée reste relativement modeste.
Des campagnes du type « 5 fruits et légumes par jour » peuvent ponctuellement contribuer à accroître de 5 % la consommation moyenne de fruits et de légumes. Elles peuvent ainsi contribuer sur le long terme à faire évoluer les normes sociales en matière d’alimentation. Point à ne pas négliger cependant, ces normes peuvent apparaître contradictoires avec les pratiques alimentaires de certaines populations.
Comme le montre Faustine Régnier, sociologue de l’alimentation INRAE de l’unité Alimentation et sciences sociales (Aliss, d’Ivry-sur-Seine), « pour les personnes issues de milieux modestes, l’alimentation constitue un espace de liberté, parfois le seul, où elles ont le sentiment d’exercer un choix, d’exprimer leurs goûts, et ainsi de compenser un peu les autres contraintes quotidiennes, ce qui dès lors limite l’impact des campagnes de sensibilisation ».
Pour des changements pas à pas
Pour Nicole Darmon, cela implique de travailler sur une voie complémentaire de façon à rendre possibles des changements pas à pas. Par exemple, introduire progressivement des légumes secs dans son alimentation ou préférer les céréales complètes, et ainsi évoluer vers une alimentation plus durable sans bouleverser ses habitudes. Il s’agit également d’accompagner les transitions par des actions au plus près de la population : ateliers de cuisine, jardins partagés, ateliers collectifs pour guider les achats. Quid des applications mobiles liées à l’alimentation pour accompagner les populations dans ces démarches ? On estime que 30 % de la population en aurait déjà téléchargé. Mais là encore, ce sont les personnes aux revenus les plus modestes qui les utilisent le moins : aux freins techniques liés à du matériel peu performant s’ajoutent des contraintes financières et temporelles, la faible connaissance des technologies numériques et, en situation de migration, la faible maîtrise du français parlé et plus encore de l’écrit.
Connaître la composition d'un produit, découvrir son profil nutritionnel… il suffit désormais d’en scanner le code barre pour déchiffrer son étiquette. Aujourd’hui, les applications qui visent à aider les consommateurs à mieux choisir leurs produits alimentaires au moment des courses connaissent un véritable essor. Retour en arrière sur une actualité dont tout le monde parle.
D’abord éduquer
Les adultes de demain sont les enfants d’aujourd’hui. Sensibiliser les enfants dès le plus jeune âge à une alimentation durable est un véritable enjeu. Un levier d’action pour toucher un maximum d’enfants, quel que soit leur milieu social : l’école et la restauration scolaire. En France, les initiatives ne manquent pas : opération « Un fruit pour la récré », développement de potagers scolaires, ateliers pédagogiques, etc. Mais surtout, les repas servis à la cantine sont encadrés par une réglementation et des recommandations relatives à leur qualité nutritionnelle. Et depuis 2019, suite à la loi Egalim, les cantines doivent proposer au moins une fois par semaine un menu végétarien. Un signal fort, même s’il est encore trop tôt pour mesurer scientifiquement les effets de cette politique publique.
Depuis 2019, les cantines doivent proposer un menu végétarien au moins une fois par semaine.
À l’étranger également, le levier de l’école et de la restauration scolaire est majeur. Au Kenya, le programme de permaculture dans les écoles et les collèges – SCOPE Kenya – permet d’éduquer et de préparer les jeunes écoliers et non-écoliers de douze départements à comprendre la valeur nutritionnelle et la consommation pour une santé améliorée, et à participer à la production agricole au moyen de jardins scolaires en permaculture. Au Brésil, des interventions réalisées dans les écoles primaires publiques apprennent aux enfants quels sont les régimes alimentaires sains, une thématique incluse dans le programme pédagogique. En parallèle, les chefs des cantines scolaires sont eux aussi formés sur le sujet.
« Chouette cantine » apprend aux enfants à manger des aliments bons pour leur santé et pour la planète. Conduit avec la Ville de Dijon, ce projet s’inscrit dans le vaste programme de recherche Territoire d’innovation « Dijon, alimentation durable 2030 ». Il est porté par Dijon Métropole et piloté scientifiquement par Sophie Nicklaus, directrice de recherche INRAE.
Agir sur les produits
Dernière carte à jouer pour accélérer les transitions alimentaires : agir sur l’offre. Si la recherche travaille à l’élaboration de nouveaux produits, elle s’intéresse également à l’élaboration de nouvelles formulations plus saines, avec moins de sel, de sucres ou de graisses en particulier. C’est le cas par exemple pour les charcuteries. Si une option peut être de diminuer tout simplement leur teneur en sel et en graisses saturées, elle est vite limitée par une perte de qualité sensorielle. Une autre piste plus prometteuse semble alors de remplacer le chlorure de sodium (le sel) par du chlorure de potassium, et les graisses animales par des huiles végétales contenant des acides gras insaturés, meilleurs pour la santé. Résultats : les chercheurs ont ainsi élaboré un saucisson sec avec une réduction de 30 % de sel et de 60 % d’acides gras saturés sans dégrader la qualité sensorielle. Les politiques publiques s’appuient sur tout un panel de réglementations ou de taxes qui visent à inciter ou imposer aux entreprises de faire évoluer leurs produits vers des formulations plus saines. Pour suivre l’évolution des compositions nutritionnelles des aliments, INRAE et l’Anses ont créé en 2018 l’Observatoire de la qualité de l’alimentation (Oqali), qui permet de rendre compte des efforts engagés par les industriels.
Reformulation des produits existants, lancement de nouveaux produits améliorés sur le plan nutritionnel (contenant moins de sel, de sucre ou de matières grasses ou plus de fibres), déploiement d’applications numériques à même de guider les choix des consommateurs lors de leurs achats alimentaires sont au nombre des démarches développées.
Orienter la production
Et comme notre alimentation commence dans les champs, les pouvoirs publics veillent également à orienter la production vers un rééquilibrage protéines animales/végétales. Ainsi, le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation a initié en 2020 une stratégie nationale « Protéines végétales » à 10 ans. Elle vise à doubler d’ici 2030 la surface cultivée des espèces végétales riches en protéines telles que soja, pois, légumes secs, luzerne, légumineuses fourragères, etc., pour à la fois rééquilibrer les régimes alimentaires et augmenter l’autonomie protéique des troupeaux. En parallèle, ce plan favorise la structuration d’une offre de produits locaux en matière de légumes secs.
Dans ce dossier, nous faisons le point sur les protéines d’origine végétale : où les trouve-t-on ? Sous quelle forme les mangeons-nous ? Comment les cultivons nous ? …et comment faire pour qu’elles prennent une plus grande part dans nos assiettes ?
Les leviers sont donc nombreux pour guider et accompagner les consommateurs vers des régimes plus sains et durables. Si aucun ne semble plus efficace qu’un autre à proprement parler, la solution est probablement de les combiner et de miser sur la complémentarité entre politiques nationales et territoriales, engagement volontaire des entreprises et évolution des comportements des consommateurs-citoyens.
Des projets alimentaires territoriaux
Les projets alimentaires territoriaux (PAT) ont été créés dans le cadre du Programme national pour l’alimentation (PNA) en 2016. Objectif ? Mettre les territoires en action autour de l’alimentation. Collectivités, agriculteurs, associations, consommateurs et plus généralement tous les acteurs concernés par l’alimentation, travaillent ensemble pour relocaliser notre alimentation.
Brigitte Nougarèdes, sociologue à l’unité mixte de recherche Innovation à l’INRAE de Montpellier, étudie de près le projet Pays Cœur d’Hérault, lauréat de l’appel à projets PNA en 2019, puis du projet TETRAA (AgroParisTech, Fondation de France) qui réunit 77 communes.
Elle souligne les axes d’amélioration nécessaires pour réussir cette « reconnexion » :
→ faciliter l’accès au foncier et au bâti agricoles pour diversifier les productions agricoles ;
→ soutenir des modèles agricoles pouvant contribuer à la transition agroécologique et alimentaire ;
→ et améliorer ou construire la coordination entre production, transformation et commercialisation, afin de structurer des filières alimentaires locales durables.
En parallèle, de nouvelles formes d’aide alimentaire doivent être pensées pour assurer à tous un accès à une alimentation de qualité.
Mieux nourrir les animaux pour mieux nourrir les hommes
C’est avec l’idée que si l’animal est mieux nourri et s’en porte mieux, l’humain pourrait lui aussi en tirer des bénéfices pour sa santé, que l’association Bleu-Blanc-Cœur a été créée en 2000 avec l’appui d’INRAE. L’ambition ? Développer une filière du champ à l’assiette avec pour principe fondateur de mieux nourrir les animaux d’élevage pour améliorer la qualité nutritionnelle des produits qui en sont issus. Il s’agit de diversifier et équilibrer l’alimentation des animaux avec plus de végétaux, de légumineuses, de graines oubliées riches d’intérêt nutritionnel (lin, lupin, pois, herbe), et de respecter le bien-être animal. Aujourd’hui, 7 000 agriculteurs sont engagés dans cette filière qui fédère des millions de consommateurs.
Politique à 360 ° en Outre-mer
Les départements et territoires d’Outre-mer sont parmi les plus exposés aux maladies chroniques liées à l’alimentation. La prévalence de l’obésité, du diabète et de l’hypertension y est élevée, ce qui est expliqué à la fois par des inégalités sociales particulièrement importantes et des habitudes alimentaires marquées par une consommation élevée de boissons sucrées et une faible consommation de fruits, légumes et produits laitiers.
Une expertise scientifique collective pilotée par l’Institut de recherche pour le développement (IRD), pour laquelle Caroline Méjean (directrice de recherche à INRAE) a présidé le collège d’experts, a permis de formuler, en 2020, 24 recommandations d’actions pour la déclinaison du Plan national nutrition santé en Outre-mer. On y note des pistes pour encourager l’installation d’équipements et la réalisation d’aménagements urbains permettant de pratiquer une activité physique, la reformulation des produits (baisse des teneurs en sucres ajoutés, sodium, acides gras saturés…), la mise en place de bons d’achat et d’ateliers de sensibilisation à la nutrition, la promotion des jardins familiaux pour améliorer l’accessibilité aux produits de qualité, ainsi que le renforcement de l’offre de soins de proximité.
L’expertise "Alimentation et nutrition dans les départements et régions d’Outre-mer", commanditée par la Direction générale de la santé (DGS), a permis de réaliser l’état des lieux de la situation nutritionnelle des populations ultramarines et ainsi proposer des recommandations d’actions prioritaires.
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Élodie Regnier
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