Projet DiadES : des outils innovants pour la gestion internationale des poissons migrateurs

Les poissons migrateurs amphihalins (esturgeons, saumons, aloses, anguilles, lamproies, mulets…), dont le cycle de vie alterne entre l’eau douce et l’eau salée, sont des acteurs majeurs de la biodiversité aquatique et du patrimoine culturel des côtes européennes. En quelques décennies seulement, la plupart des populations de poissons migrateurs amphihalins ont connu, en moyenne, une diminution de plus de 75 % de leur abondance. Certaines espèces sont même en « danger critique d’extinction » selon l’UICN (Union internationale pour la conservation de la nature), comme l’anguille européenne ou l’esturgeon européen. Initié en 2019, et financé par le programme européen Interreg Espace Atlantique, le projet DiadES a eu pour objectif de proposer une nouvelle vision de la gestion de ces espèces emblématiques dans un environnement globalement changeant. Il vise aussi à favoriser le dialogue entre les disciplines scientifiques et les acteurs impliqués et de promouvoir la coopération internationale en faveur d’une gestion éclairée de ces espèces et des services écosystémiques qui y sont associés. DiadES a réuni un consortium de chercheurs en écologie, en économie de l’environnement et des porteurs d’enjeux dans 5 pays de la façade atlantique (Irlande, Angleterre, France, Espagne et Portugal).

Après 4 ans d'étude au niveau européen, les scientifiques ont présenté les recommandations et outils innovants pour une gestion durable et internationale des poissons migrateurs amphihalins dans le contexte du changement climatique, à l’occasion d’une journée de restitution, organisée le 23 mai 2023 à Bordeaux. 

Tout d’abord, le consortium DiadES a identifié 5 recommandations de gestion qui seront rapportées dans un article publié dans le Parliament Magazine au printemps 2023. Ces recommandations consistent en une liste de points critiques à aborder pour favoriser l’émergence d’une gestion adaptée des poissons migrateurs amphihalins :

1. Produire des connaissances communes : DiadES a mis en lumière des besoins de recherche plus poussée sur les interconnections entre les populations de poissons migrateurs amphihalins et leur dépendance à leurs différents habitats, une évaluation plus exhaustive des services écosystémiques, y compris les services « cachés » et les liens entre lieux de production et de consommation des services, et les effets d’interactions entre le changement climatique et d’autres pressions – dont les ruptures de connectivité.
2. Utiliser des outils de coordination internationaux : la deuxième recommandation vise une meilleure utilisation des outils de coordination internationaux (e.g. CIEM ou comité international pour l’exploration de la mer et de ses working groups) notamment pour les espèces dont les données sont rares (ex. : lamproie fluviatile, éperlan, flet). Il s’agirait alors de favoriser la collecte de données concertée à une échelle supranationale par des commandes de travaux spécifiques ou par la synthèse de travaux existants.
3. Des mesures de gestion locales adaptées à l’imprévu : la définition et la mise en œuvre des actions de gestion devraient intégrer d’une part les interdépendances territoriales entre les populations de poissons et d’autre part les moyens et long terme imposés par les changements climatiques. Les stratégies de gestion à l’échelle locale devraient adresser les services écosystémiques apportés par l’ensemble des espèces migratrices amphihalines présentes sur un territoire.
4. Partager ces connaissances entre gestionnaires : les gestionnaires devraient partager, avec les zones de gestion voisines, leur stratégie de gestion, l’état des populations qu’ils sont amenés à gérer ainsi que les succès, les « non-résultats » et les échecs des actions de gestion mises en œuvre localement. Pour cela, de nouvelles « arènes » sont à imaginer aux niveaux régional, national, transfrontalier et international.
5. Sensibiliser, éduquer, communiquer : un levier d’action important pour tenter d’inverser le déclin généralisé de nos espèces d’intérêt réside dans l’éducation ou « acculturation ». En effet, des citoyens mieux informés et plus concernés pourraient inciter les gestionnaires à trouver un équilibre entre questions socioéconomiques et environnementales.

Deux outils supplémentaires ont été développés durant le projet afin de promouvoir la gestion sur le long terme et à large échelle des poissons migrateurs amphihalins.

Le jeu sérieux DiadESland a été développé par l’équipe de recherche d‘INRAE Nouvelle-Aquitaine Bordeaux avec l’aide des autres chercheurs partenaires du projet DiadES. Dans ce jeu de rôle à visée pédagogique, les joueurs incarnent des gestionnaires de bassins versants chargés de développer une stratégie de gestion sur 60 ans, par rapport à des objectifs de biodiversité et de niveaux de services écosystémiques à atteindre. Distribué gratuitement à tous les partenaires du projet, et diffusé largement en France et en Europe au travers de nombreuses parties de jeu, le jeu sérieux DiadESland réunit autour de la table élus, pêcheurs amateurs ou professionnels, syndicats de bassin versant, chercheurs et autres porteurs d’enjeux pour tenter de gérer un bassin versant face aux menaces liées au changement global. DiadESland est aujourd’hui disponible au format papier et sur ordinateur, cette adaptation numérique permettant de jouer gratuitement, à distance, en multijoueur. Elle offre de nouvelles opportunités pour diffuser les concepts autour de la gestion des poissons migrateurs amphihalins dans le contexte du changement climatique à un public plus large.

Un atlas web interactif permettant d’explorer les futurs possibles de populations de migrateurs amphihalins à partir des résultats de recherche du projet a été développé avec l’aide de la société ThinkR. L’atlas DiadES a pour but de mettre à disposition d’un large public les principaux résultats du projet DiadES sur une plateforme facile d’utilisation : la répartition actuelle des populations de migrateurs amphihalins, les services écosystémiques associés à ces espèces dans chaque cas d’étude du projet, et la distribution des poissons migrateurs jusqu’en 2100 sur la façade atlantique. Cet outil a pour but de sensibiliser les utilisateurs aux risques de perte de ressources et de services écosystémiques liés au changement climatique tout en soulignant les implications de ces changements en termes d’interactions territoriales.