Agroécologie 6 min

Un parcours santé pour la pomme de terre

[2020 Année internationale de la santé des plantes] Première culture vivrière dans le monde, la pomme de terre est soumise à un vaste cortège parasitaire qu’un arsenal de pesticides, aujourd’hui réduit, aidait à maîtriser depuis l’après-guerre. Avec endurance et conviction, l’équipe de recherche « Pomme de terre » imagine depuis 30 ans des stratégies pour s’en affranchir : variétés résistantes, outils de détection, systèmes de culture innovants… Leurs travaux débouchent aujourd’hui sur des solutions au bénéfice de la santé et de l’environnement. Une réussite que récompense le laurier collectif Impact de la recherche 2019 de l’Inra.

Publié le 19 novembre 2019

illustration  Un parcours santé pour la pomme de terre
© INRAE, Ch. Maître

Au Rheu, comme à Ploudaniel, l’ambiance est conviviale et enjouée entre les membres de l’équipe « Pomme de terre » de l’Institut de Génétique, Environnement et Protection des Plantes (IGEPP) du centre INRAE Bretagne-Normandie. Ce laurier, collectif, leur va à merveille ! Il récompense l’impact de recherches qu’ils ont initiées alors que réduire notre dépendance aux pesticides n’était pas encore une priorité claire pour la société. « Être précurseurs n’a pas toujours été facile » témoigne Jean-Eric Chauvin, généticien, « mais ce n’est pas un choix que l’on regrette aujourd’hui ! ».

La génétique, clé de voûte

Tous les généticiens et tous les pathologistes le savent : la résistance génétique d’une variété à un parasite est une course d’endurance. Les parasites - mildiou, virus, bactéries, nématodes - ont la capacité à s’adapter aux résistances des plantes et à les surmonter. Par exemple, les travaux de l’équipe sur le mildiou montrent que les populations françaises de ce parasite se sont adaptées à la variété de pomme de terre historiquement la plus cultivée en France, la Bintje. Pour garder une longueur d’avance, les chercheurs doivent donc être stratèges : combiner différents mécanismes de résistance, imaginer les conditions dans lesquelles elles pourront s’exprimer le mieux et durer le plus longtemps… Vastes programmes articulés autour de trois étapes majeures. La première priorité a été la surveillance sanitaire. Marie-Claire Kerlan, généticienne, explique : « Toute pomme de terre porteuse de virus est éliminée car en plantant un tubercule contaminé, on propagerait le virus aux cultures suivantes ». Grâce aux kits et outils d’analyse, issus de travaux innovants de l’équipe « Pomme de terre » dans les années 80 et sans cesse améliorés depuis, on peut suivre l’évolution des populations parasites, s’assurer du bon état sanitaire des plantes et identifier les variétés de pomme de terre résistantes.

avec la réponse génétique, nous avons été à l’avant-garde

Ensuite, généticiens et pathologistes se sont alliés pour sélectionner des variétés de pommes de terre résistantes. Pour Laura Chauvin, biologiste, « avec la réponse génétique, nous avons été à l’avant-garde, c’est la voie royale ». La majeure partie des gènes de résistance provient de solanacées sauvages apparentées à la pomme de terre. Le centre de ressources biologiques INRAE (CRB BrACySol), à Ploudaniel, en conserve près de 900 spécimens, utilisés pour la création de géniteurs améliorés. L’objectif est de mettre chaque année à disposition des sélectionneurs privés français*, qui participent au financement de ces recherches, de nouveaux géniteurs résistants. Les variétés cultivées sont alors améliorées par voie classique : croisements et sélection des individus les plus prometteurs, avec des étapes d’expérimentation au champ. En amont, biologie moléculaire et biologie cellulaire sont mobilisées pour décrire et comprendre les gènes, puis pour identifier leur présence dans les variétés portant les caractères intéressants. Par exemple, un mécanisme original de résistance aux virus, mis en évidence chez le piment à l’INRAE d’Avignon, est actuellement exploré chez la pomme de terre. De 1998 à 2007, avec quatre équipes de recherche de européennes, l’INRAE d’Avignon a participé à la construction de la carte génétique à ultra-haute densité et la carte physique de la pomme de terre, qui ont servi de base au séquençage du génome et au développement de marqueurs utilisés en sélection. Ces cartes ont permis de montrer que les géniteurs INRAE résistants aux nématodes ont en commun un facteur génétique qui modifie le sex-ratio de ces minuscules vers du sol. Sans femelle, pas d’œufs ! L’équipe a aussi identifié un 2e facteur génétique qui, combiné au premier, empêche l’entrée des nématodes dans la plante. « Beaucoup d’équipes européennes nous l’envient » souligne Marie-Claire Kerlan. « On essaie de savoir maintenant si ces réactions bloquent des populations de nématodes virulents tels que ceux apparus en Allemagne en 2014 ». Pour étudier l’adaptation des populations de nématodes aux résistances des plantes, les nématologistes ont fait évoluer expérimentalement, dans des installations protégées, des nématodes non virulents sur des variétés résistantes. Au bout de 8 générations (8 ans), ils ont obtenu et caractérisé des nématodes ayant réussi à contourner la résistance. Ce matériel est très précieux pour identifier de nouvelles sources de résistance plus efficaces et plus durables chez les plantes.

Produire autrement

 

un bouquet de solutions pour gérer durablement les résistances

La dernière étape consiste à assurer une efficacité durable des résistances apportées. « Il y a 20 ans, on pensait que les résistances variétales permettraient de s’affranchir de tout produit chimique. Aujourd’hui on sait très bien que ces solutions ne sont pas durables en tant que telles » explique le nématologiste Sylvain Fournet. Pour Didier Andrivon, pathologiste et épidémiologiste, les travaux de l’équipe sur l’architecture végétale ont marqué un tournant : l’aération du couvert réduit l’humidité et les maladies dans le feuillage. « Cet effet architecture, combiné à d’autres leviers, peut suffire à contenir la maladie, lorsque l’attaque est modérée » ajoute Claudine Pasco, pathologiste. « C’est un bouquet de solutions que l’agriculteur doit mobiliser : faire un bon choix de variété résistante, agir sur le couvert, allonger sa rotation, apporter des produits de biocontrôle tels que ceux sur lesquels travaille actuellement notre équipe » poursuit Josselin Montarry, nématologiste   « Et, dans ce bouquet, la résistance variétale sera un levier central, comme l’a montré la récente expertise scientifique collective ‘Peut-on se passer du cuivre en agriculture biologique ?’ ». Pour que ces solutions soient appliquées sur le terrain, il faut accompagner en outre un changement de pratiques, que les politiques publiques peuvent encourager. Ainsi, pour faire évoluer le règlement technique d’inscription au catalogue français, Didier et les autres experts ont contribué à élaborer une « valeur environnementale » des variétés, qui combine le niveau de résistance au mildiou et aux nématodes. « Cette nouvelle cotation a fait énormément évoluer la position des sélectionneurs, qui se préoccupent aujourd’hui beaucoup plus de ce critère » constate-t-il. « Quatorze variétés résistantes, toutes issues de géniteurs INRAE, sont déjà inscrites en France, ce qui nous donne une longueur d’avance par rapport à d’autres pays.

Des facteurs de succès

Quels ont été les facteurs des succès de cette équipe ? La pluridisciplinarité sans aucun doute, ainsi que la capacité à s’insérer ou structurer des réseaux européens et internationaux. « On n’en serait pas là sinon » soulignent-ils. Les infrastructures de recherche comptent également, avec 12 000 ressources génétiques maintenues en serre, plate-forme, in vitro ou par cryoconservation au sein du CRB BrACySol, ainsi qu’un domaine expérimental de 82 hectares et des installations sécurisées pour travailler sur les parasites de quarantaine. Le lien avec les filières est également essentiel, comme l’appui et l’accompagnement des politiques publiques. Dès que les membres de l’équipe sont ensemble, la discussion s’anime : la question d’après, c’est comment harmoniser ces différents moyens de lutte, sachant qu’ils ne sont pas tous indépendants les uns des autres, pour protéger nos pommes de terre non pas contre un seul, mais contre tous leurs parasites ! En attendant, ils savourent ce laurier bienvenu à l’approche de 2020 déclarée par les Nations Unies, année internationale de la santé des végétaux.

Et ensuite ?

L’équipe « Pomme de terre » contribue au développement d’outils de biocontrôle des différents pathogènes (mildiou, nématodes), basés sur des substances naturelles. Elle s’intéresse aussi à l’effet du microbiote du sol (toutes les bactéries et champignons du sol) sur l’efficacité de ces produits de biocontrôle. Combinée à la résistance des plantes, l’utilisation de ces nouveaux moyens de lutte permettra une gestion plus efficace et durable des populations de parasites. Résistances des plantes, structures de plantes et de couverts, architecture, stimulation de réactions de défense de la plante et du biocontrôle… « L’objectif à terme est de faire fonctionner ces différents leviers ensemble, de manière synergique, pour gérer au mieux les épidémies sans consacrer tous ses lundis matin à passer le pulvérisateur » explique Didier Andrivon. Cela impose un changement de pratiques agricoles et un changement dans la perception de la qualité visuelle des tubercules par le consommateur, mais aussi dans l’appréciation des risques par l’agriculteur : de la tolérance 0 à la tolérance d’une petite quantité de symptômes qui finalement n’ont pas d’impact sur le rendement économique.

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* Réunis au sein de l’ACVNPT (Association des créateurs de variétés nouvelles de pomme de terre)

Pari parmentier... en infographies

La pomme de terre est la quatrième culture vivrière mondiale, après le blé, le riz et le maïs. Son extension en Afrique et en Asie serait un atout pour la sécurité alimentaire. Cette place de choix ne pourra être maintenue qu’à la condition de contrôler les très nombreux parasites qui s’en régalent tout en se passant de pesticides qui ont des impacts écotoxicologiques. 

Bernard Jouan, l’un des fondateurs de l’équipe de recherche sur la pomme de terre, aime rappeler que la diffusion de ces tubercules par Parmentier en Europe à partir de la fin du XVIIIe siècle a permis de mettre un terme aux famines. Appréciée partout dans le monde, coutumière de menus de fête comme des repas modestes, la pomme de terre l’est aussi par de nombreux agresseurs : les virus, le doryphore, les nématodes - petits vers du sol dont les kystes dotés de dix ans de survie sont des bombes à retardement, et les bactéries qui affectent la conservation et la présentation des tubercules… Son ennemi numéro 1 au niveau mondial reste cependant le mildiou. Pour le maîtriser, entre 12 à 22 traitements fongicides sont pratiqués sur les cultures chaque année. Lors de son arrivée en Europe, en 1845, ce parasite a éradiqué du continent les variétés sensibles de l’époque en l’espace de deux ans. La famine qui s’en est suivi en Irlande a déclenché une vague d’immigration vers les États-Unis.

Aujourd’hui, l’excellente qualité sanitaire des plants français repose en partie sur les 1 million et demi de tests immunochimiques réalisés chaque année pour écarter les plantes contaminées par des virus ou bactéries, issus de travaux innovants de l’équipe de recherche « Pomme de terre » dans les années 80. La stratégie gagnante développée ensuite par cette équipe pour contrôler durablement mildiou et nématodes passe par la génétique, afin de créer des pommes de terre résistantes. Ces travaux s’appuient également sur une connaissance fine de la virulence des parasites, de leurs capacités d’adaptation et de l’évolution de leurs populations.


Le groupe récompensé

L’équipe de recherche « Pomme de terre » réunit aujourd’hui généticiens, pathologistes, nématologistes, agronomes, biologistes cellulaires et moléculaires, expérimentateurs au champ. Elle est composée d’agents INRAE et d’agents mis à disposition par la Fédération nationale des producteurs de plants de pomme de terre (FN3PT) qui soutient les travaux de recherche d'INRAE depuis 70 ans. Depuis 2012, l’UMT Innoplant (unité mixte technologique INRAE/FN3PT) fédère ces forces de recherche.

 

IGEPP Ploudaniel

  • Jean-Eric Chauvin, Marie-Claire Kerlan, Laura Chauvin, Roland Pellé, Catherine Souchet
  • Daniel Ellissèche, Jean-Paul Dantec, retraité

UGAFL** Avignon

  • Bernard Caromel

IGEPP Le Rheu

  • Didier Andrivon, Sylvain Fournet, Claudine Pasco, Josselin Montarry
  • Camille Kerlan, Bernard Jouan, Lucien Hingand, Didier Mugniéry, retraités

** Unité de Génétique et d'amélioration des fruits et légumes

Equipe de recherche sur la pomme de terre

Nicole LadetRédactrice

Contacts

Didier AndrivonContact scientifiqueIGEPP, Bretagne-Normandie

Jean-Eric ChauvinContact scientifiqueIGEPP, Bretagne-Normandie

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