Alimentation, santé globale

Nitrites dans les charcuteries, le point sur nos recherches

Faut-il se passer des nitrites ? Comment ? Les alternatives ont-elles les bénéfices santé attendus ? L’équipe « Prévention et promotion de la cancérogénèse par les aliments » de l’unité mixte de recherche Toxicologie alimentaire (Toxalim) du centre INRAE Occitanie-Toulouse étudie, depuis près de 25 ans, le lien entre cancer du côlon et consommation de viande rouge et de charcuteries. Objectif : comprendre les mécanismes pour proposer, sur cette base, des solutions et réduire le risque.

Publié le 08 décembre 2021 (mis à jour : 26 janvier 2022)

illustration Nitrites dans les charcuteries, le point sur nos recherches
© INRAE, Bertrand Nicolas

Les nitrites, vous connaissez ?

Les nitrites sont des additifs alimentaires utilisés dans les charcuteries pour empêcher le développement de bactéries pathogènes telles que les salmonelles ou la listeria et pour éviter la production de toxines produites par Clostridium botulinum. Les nitrites sont aussi responsables de la couleur rose des charcuteries cuites, protègent du rancissement, et permettent l’expression de notes aromatiques spécifiques aux produits de charcuterie. Problème, les nitrites réagissent chimiquement avec le fer héminique de la viande pour former des composés N-nitrosés, parmi lesquels le fer nitrosylé dont la consommation pourrait être associée à un risque accru de cancer colorectal.

La dose maximale de nitrites autorisée dans les charcuteries est de 150 mg/kg en Europe. En France, la dose utilisée est de 120 mg/kg et va passer très prochainement à 90 mg/kg.

Des études de l’unité INRAE Toxalim, réalisées avec des modèles animaux, ont contribué à éclairer ces mécanismes, ce qui a permis de proposer, dès 2010, le retrait des nitrites pour contribuer à réduire l’effet de la consommation des charcuteries sur le risque de cancer colorectal. Sur cette base, une partie des travaux se sont ensuite poursuivis pour évaluer l’effet de la suppression des nitrites dans la charcuterie. Or ces recherches montrent qu’une telle suppression, si elle provoque comme attendu une diminution de la formation du fer nitrosylé, entraîne aussi l’augmentation d’une autre réaction chimique entre le fer héminique et les lipides de la viande, appelée peroxydation lipidique. Celle-ci provoque la formation d’aldéhydes toxiques eux aussi associés à un risque accru de cancer colorectal. Alors que la société civile est mobilisée en faveur de l’interdiction des nitrites, les scientifiques soulignent la nécessité de prendre également en compte les conséquence des réactions de peroxydation lipidique et travaillent sur différentes pistes (réduction, retrait ou substitution des nitrites, reformulation des produits charcutiers) pour limiter les risques de cancer liés à la consommation de produits carnés en limitant à la fois la formation de fer nitrosylé, formé en présence de nitrites, et d’aldéhydes toxiques, formés en leur absence.

Limiter les risques par tous les chemins

Les scientifiques de l'unité Toxalim explorent simultanément trois pistes.

1. La recommandation nutritionnelle

Le premier chemin efficace, démontré par les études épidémiologiques, est la recommandation nutritionnelle fixant un seuil limite de consommation pour réduire le risque. C’est dans cette perspective qu’ont été élaborés les messages de prévention sur la nécessaire diminution de consommation de viande rouge et de charcuteries. Les recommandations nutritionnelles (PNNS*) vont dans ce sens : la consommation de charcuterie doit être limitée à 150 g par personne par semaine et à 500 g pour la viande rouge. Des incitations qui participent à la diminution du risque de cancer colorectal. Mais toute la population, en particulier les personnes des catégories socioprofessionnelles défavorisées, n’est pas réceptive à ces messages de prévention, et de nombreux consommateurs, peu sensibles aux recommandations nutritionnelles, ne font guère évoluer leurs habitudes alimentaires et continuent de dépasser, et pour certains largement, ces seuils de recommandations.

2. Reformuler les produits charcutiers avec des antioxydants

Pour permettre de toucher plus largement toutes les catégories de consommateurs, la deuxième voie s’intéresse à la reformulation des produits charcutiers avec des antioxydants. Les scientifiques de l’unité Toxalim ont montré chez des volontaires sains et dans des modèles animaux que les antioxydants, ingérés en même temps que la viande rouge ou la charcuterie, ont pour effet d’empêcher les réactions chimiques à l’origine de la formation de fer nitrosylé et d’aldéhydes toxiques. Forts de ces résultats, les scientifiques ont étudié en laboratoire les effets de l’ajout d’antioxydants aux produits carnés. Mais comment trouver la bonne recette ? Pour concevoir des produits qui répondent aux attentes du marché tout en intégrant les contraintes techniques des fabricants de charcuterie, ils ont souhaité travailler avec la filière. C’est ainsi que les projets ANR HemeCancer puis Securiviande coordonnés par INRAE, ont été menés avec la filière porcine française (Ifip), l’Institut technique des viandes (Adiv) mais aussi le Centre de recherche en nutrition humaine (CRNH) pour extrapoler les données à l’Homme. Il s’agissait de tester de nouveaux procédés et de nouvelles formulations ayant des bénéfices santé pour la population tout en conservant un goût et un aspect acceptables pour le consommateur. Les scientifiques ont alors mis en évidence que l’ajout de vitamine E (tocophérol), antioxydante, au cours de la fabrication des charcuteries est une voie de prévention possible. Les premiers résultats montrent également que les extraits de naturels de curcuma et de grenade ainsi que le vin rouge constituent des sources d’antioxydants efficaces mais donnent une couleur peu conventionnelle à la denrée !

« C’est une question de santé publique. Ça ne sert à rien de trouver une solution et de ne pas pouvoir l’appliquer. Collaborer avec les acteurs socioéconomiques concernés par l’utilisation de nitrites a permis d’accélérer la reformulation des produits pour limiter les risques pour la population. » Fabrice Pierre, directeur de recherche à Toxalim

 

3. Évaluer l'effet santé des solutions alternatives à l'utilisation de nitrites

En accord avec les attentes sociétales, l’équipe de Toxalim développe également des travaux pour évaluer les effets sur la santé et le risque de cancer colorectal d’une troisième famille de solutions : la suppression complète des nitrites (avec ou sans enrichissement en antioxydants) ou la diminution de leur teneur. En parallèle, les chercheurs évaluent aussi les effets de leur substitution par d’autres ingrédients dont certains sont déjà sur le marché…

À travers les trois pistes poursuivies, l’objectif premier des scientifiques est de déterminer la solution qui provoque le gain santé optimal en diminuant efficacement la formation de fer nitrosylé et d’aldéhydes, puis de fournir ces données aux agences nationales et internationales, dont l’Anses dans le cadre de son évaluation des risques associés à la consommation de nitrites et nitrates. Les effets santé de toutes ces pistes sont étudiés dans le cadre des programmes de recherche collaboratifs Adduits et Subnitrites qui associe 3 unité INRAE (Toxalim, QuaPa et SQPOV) et la filière (2 centres techniques : Ifip & Adiv, syndicat de filière (Fict) et industriels). Les conclusions finales de cette étude sont attendus à partir de février 2022.

Éclairer les débats, outiller le législateur

Fort de 25 années de travaux de recherche sur le lien entre viande rouge et charcuterie et cancer du côlon, INRAE est régulièrement sollicité pour fournir des éléments validés scientifiquement pour éclairer les débats et aider les pouvoirs publics à légiférer. Ainsi, les chercheurs d’INRAE (Toxalim et Eren) ont été auditionnés dans le cadre d’un rapport parlementaire de la mission d’information sur les sels nitrités dans l’industrie agroalimentaire rendu en janvier 2021. Les scientifiques (Toxalim, QuaPA et Eren) ont été également auditionnés dans le cadre d’un groupe de travail « Risques associés à la consommation de nitrites et de nitrates » piloté par l'Anses qui doit rendre un avis fin 2021 sur l’interdiction ou non des nitrites.

Une approche qui a fait ses preuves

Les données obtenues, en particulier par Toxalim et qui seront fournies au plus tôt à l’Anses, seront issues de la même approche et des mêmes modèles animaux qui avaient été utilisés pour étudier l’effet de l’additif alimentaire E171 (dioxyde de titane) sur le risque de carcinogenèse colorectale. Ces données avaient été retenues par l’Anses et le législateur français pour justifier la suspension de son utilisation en France. Elles ont aussi été utilisées par l’Efsa dont l’avis à aboutit à la récente interdiction de l'E171 alimentaire au niveau européen. Retour sur la mise en évidence des effets toxique du E171. 

 

RETOUR SUR 25 ANS DE RECHERCHE SUR LE LIEN ENTRE VIANDE ROUGE ET CHARCUTERIES ET CANCER DU COLON

Quelques dates clés des travaux de l’équipe Prévention et promotion de la cancérogénèse par les aliments (PPCA) de l’UMR Toxicologie alimentaire (Toxalim) :

> 2004 : Sur la base d'une étude épidémiologique mettant en lumière le lien entre consommation de produits carnés et risque de cancer colorectal (études statistiques, 1997), démonstration expérimentale, sur des souris, de l’association entre la consommation de viande rouge et de charcuteries et un risque accru de cancer colorectal, contrairement à la viande blanche.

3 facteurs sont alors suspectés d’avoir un rôle dans le lien entre cancer colorectal et viande rouge et charcuteries : le fer héminique, les amines hétérocycliques de la viande cuite et les composés nitrosés de la viande transformée.

> 2010 : Les résultats du projet ANR HemeCancer  (coordonnée par l’unité Toxalim et impliquant l’Ifip et la Fict) montrent qu’une charcuterie sans nitrites limite l’effet promoteur de leur consommation sur le risque de cancer du côlon dans un modèle animal mais est associée à une augmentation de la peroxydation lipidique et donc de la formation d’aldéhydes.

> 2013 : Les scientifiques montrent que des antioxydants inhibent directement les réactions catalysées par le fer héminique et que l’ajout de vitamine E, d’extraits de vin rouge (resvératrol) ou de grenade (anthocyanes) directement dans de la charcuterie nitritée limitait l’apparition du cancer colorectal.

> 2015 : Une étude expérimentale chez le rat montre que le fer héminique a un rôle central pour expliquer l’effet des produits carnés sur le risque de  cancer colorectal, sans effet additif ni synergique des deux autres composants (amines hétérocycliques et composés N-nitrosés totaux).

> 2017 : Mise en évidence d’une association entre le fer héminique nitrosylé (issu de l’interaction entre le fer héminique et les nitrites) et le risque de cancer colorectal.

> 2019 : Un régime alimentaire enrichi en hème, tel qu’un régime riche en viande rouge et charcuteries, entraîne une forte altération de la composition du microbiote intestinal associée à des défauts de la barrière intestinale.

* PNNS : programme national nutrition et santé

Elodie RégnierRédactrice

Contacts

Fabrice Pierre, Françoise GuéraudUnité mixte de recherche Toxicologie alimentaire (Toxalim)

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