Société et territoires 3 min

L’évaluation par l’USDA des stratégies européennes associées au Pacte vert en donne une vision pessimiste liée à une approche réductrice

Une étude du service économique du ministère américain en charge de l’agriculture a simulé les conséquences sur les productions agricoles et les marchés mondiaux des stratégies européennes « De la ferme à l’assiette » et « Biodiversité 2030 ». Les résultats de cette étude, globalement négatifs, ont cependant une portée limitée, du fait de la seule prise en compte des modifications des conditions de la production agricole et de leurs conséquences marchandes. Des experts d’INRAE ont produit une note qui vise à expliciter les limites de cette étude de manière à éviter des interprétations abusives sur les conséquences de l’ensemble du Pacte vert européen.

Publié le 09 décembre 2020

illustration L’évaluation par l’USDA des stratégies européennes associées au Pacte vert en donne une vision pessimiste liée à une approche réductrice
© INRAE C. Maître

Les stratégies européennes « De la ferme à l’assiette » (1) et « Biodiversité 2030 » (2) font partie intégrante du Pacte vert (Green Deal) (3) qui vise en particulier la neutralité carbone de l’Europe pour 2050. Elles s’inscrivent aussi dans les Objectifs du développement durable adoptés par les Nations-Unies en 2015 (4). Le service économique du ministère américain en charge de l’agriculture a réalisé une étude pour évaluer les impacts de ces politiques sur la production agricole et sur les prix alimentaires mondiaux et par conséquent sur la sécurité alimentaire mondiale (5).

Les conclusions de l’étude de l’USDA : une vision pessimiste

Le rapport de l’USDA examine trois scénarios d'adoption des stratégies européennes :

  • Adoption par l’Union européenne (UE) uniquement
  • Adoption par certains pays, et restrictions commerciales explicites de l'UE contre les pays non-adoptants
  • Adoption mondiale

Le rapport USDA prévoit une baisse de la production agricole dans l'UE, de 7 % et à horizon 2030 et une augmentation de l'insécurité alimentaire mondiale.

Dans les trois cas, les impacts sur la sécurité alimentaire mondiale seraient négatifs, du fait d’une diminution de la production agricole et de l’augmentation concomitante des prix mondiaux. La diminution de la production est liée aux objectifs affichés par la Commission européenne (CE), à savoir : la réduction de 20 % de l’utilisation des engrais azotés, de 50 % des pesticides et des antibiotiques, et la réduction de 10% des surfaces cultivées. La diminution de la production agricole dans l’UE est chiffrée par l’USDA à 12 % (adoption UE) et 7 % (adoption mondiale). Le nombre de personnes en situation d'insécurité alimentaire en 2030 augmenterait de 22 millions (adoption UE), jusqu’à 185 millions (adoption mondiale).

 

Analyse d’INRAE : l’étude de l’USDA est partielle

Un groupe d’experts INRAE a analysé cette étude et montre qu’elle ne prend pas en compte tous les volets de la stratégie européenne. Elle utilise en effet un modèle américain (6) centré sur la production et sur les marchés, toutes choses égales par ailleurs, qui ne tient pas compte d’autres paramètres, tels que la modification des pratiques agricoles et de la demande alimentaire.

  • Sur la diminution de la production

Aucun progrès technique n’est intégré dans les scénarios simulés par l'USDA. On peut espérer du progrès génétique une plus grande résistance des végétaux cultivés et des animaux élevés aux stress biotiques et abiotiques à l’horizon 2030.

L’étude de l’USDA calcule, pour chaque produit agricole, la diminution de production qui découlerait des objectifs de la CE. Mais ce calcul est réalisé en considérant que les systèmes agricoles resteraient tels qu’ils sont actuellement. Or, la stratégie européenne inclut une modification profonde de ces systèmes, vers plus d’efficience dans l’utilisation des intrants, vers des pratiques agroécologiques moins dépendantes des intrants, et vers l’amélioration génétique des espèces végétales et animales. Tous ces leviers devraient permettre d’atténuer la baisse de la production agricole liée à la diminution des intrants de synthèse et des surfaces cultivées.

  • Sur l’augmentation des prix mondiaux

Lorsque la demande est constante ou s’accroit, une diminution de la production entraîne automatiquement une augmentation des prix. Or, dans une approche cohérente du système agroalimentaire, la stratégie européenne incite à une diminution de la demande, par une baisse du contenu calorique et de la part des produits animaux dans les régimes occidentaux. Le rapport de l’USDA ne tient pas compte de ces évolutions du régime alimentaire ni de la diminution des gaspillages alimentaires prônée par la CE.

  • Non-prise en compte des coûts environnementaux et sanitaires des pratiques actuelles

Enfin, le rapport de l’USDA ne tient pas compte des coûts environnementaux et sanitaires des pratiques agricoles actuelles (azote, pesticides), qui sont importants et de mieux en mieux évalués.

 

  1. Stratégie « De la ferme à l’assiette » (Farm to Fork).
  2. Stratégie « Biodiversité 2030 ».
  3. Pacte vert européen (Green Deal).
  4. ODD de l’ONU.
  5. USDA-ERS : United State Department of Agriculture - Economic Research Service. Le rapport est ici.
  6. Modèle GTAP-AEZ (Global Trade Analysis Project - AgroEcological Zone) : modèle d’équilibre général de l’économie mondiale développé par l’université de Purdue.

Note INRAE sur le rapport USDA-ERS (2020).pdfpdf - 131.36 KB

Pascale MollierRédactrice

Contacts

Guy Richard

Chantal Le Mouël

Alban THOMAS

Jean-Christophe BUREAU

Hervé GUYOMARD

Le département

En savoir plus

Société et territoires

Implications éthiques des grands accords internationaux : objectifs du développement durable et climat

Le Comité d’éthique Inra-Cirad-Ifremer livre un 10e avis sur les implications éthiques pour la recherche des grands accords internationaux : objectifs du développement durable adoptés par les Nations-Unies en 2015 et accord de Paris sur le climat adopté à la suite de la 21e conférence des parties, également en 2015. Une saisine réalisée à la demande conjointe des directions des trois organismes.

21 juillet 2020

Société et territoires

Quelle place pour les agricultures européennes dans les échanges mondiaux à horizon 2050 ?

L’étude « Agricultures européennes en 2050 » conduite par INRAE à la demande de l’association Pluriagri* s’inscrit dans la lignée des travaux prospectifs sur l’évolution de la sécurité alimentaire mondiale conduits par l’Inra et le Cirad, par la FAO (Organisation des Nations unies pour l'alimentation et l'agriculture), ou encore l’IFPRI (International Food Policy Research Institute) et l’IIASA (International Institute for Applied Systems Analysis). Ses enseignements, qui tiennent compte des impacts du changement climatique sur la production agricole, pourront éclairer les politiques publiques européennes et internationales.

13 février 2020

Nicolas de Menthière, directeur de l’Appui aux Politiques publiques

Avec une carrière à des postes de responsabilité, de conseil et de pilotage de projets de recherche et développement sur la forêt, Nicolas de Menthière est du bois dont on fait les dirigeants. Au sein de la nouvelle direction générale déléguée expertise et appui aux politiques publiques, une innovation organisationnelle d'INRAE, il veillera à la valorisation de l’institut auprès des décideurs des politiques publiques.

22 décembre 2019