illustration  Yann Guiguen, dans un océan de science
© INRAE, Bertrand Nicolas

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Yann Guiguen, dans un océan de science

Mâle ou femelle, souvent sexe varie, déterminé par des mécanismes génétiques, environnementaux ou encore sociaux. Un sujet complexe que Yann Guiguen explore avec succès depuis de nombreuses années chez les poissons, déclinant brillamment physiologie, génétique et génomique. Spécialiste mondial de la différentiation du sexe chez les Poissons, Yann Guiguen est directeur de recherche Inra dans le Laboratoire de Physiologie et génomique des poissons du Centre Inra Bretagne-Normandie. Il reçoit le laurier Défi scientifique 2019 de l'Inra.

Publié le 18 novembre 2019

Heureux comme un poisson dans l’eau tel est Yann Guiguen. Directeur de recherches Inra, il concilie depuis de nombreuses années passion et travail au cœur du Laboratoire de Physiologie et de génomique des poissons du Centre Inra Bretagne-Normandie. Son parcours scientifique au sommet de la vague lui vaut de recevoir le laurier Défi scientifique 2019 de l’Inra.

 

L’enfant de la mer

« Les poissons, cela a toujours été une passion pour moi ». Gamin, il n’avait pas moins de dix aquariums et son truc, c’était déjà la reproduction. « J’avais même convaincu mes parents d’en installer un dans le salon » avoue-t-il non sans malice. Et quand son père se voit proposer un poste à Tahiti, aucun problème à larguer les amarres !

La mer, c’est quelque chose

De retour dans l’Hexagone, Yann Guiguen s’engage dans des études universitaires. C’est l’époque du Grand Bleu, les profondeurs marines suscitent des vocations. La passion de Yann pour la mer devient réalité estudiantine sur fond de zoologie, de physiologie ou encore endocrinologie - il obtient son doctorat en 1992.

Naitre ou ne pas être mâle ou femelle

L’année suivante, Yann Guiguen est recruté à l’Inra. Chargé de recherche dans le Laboratoire de Physiologie et de génomique des poissons, il travaille désormais sur la différentiation du sexe chez les poissons. Le sujet est vaste, portant sur les mécanismes qui conduisent une gonade embryonnaire indifférenciée à s'engager dans une voie de développement mâle ou femelle pour aboutir à un testicule ou un ovaire. Les perspectives agronomiques sont nombreuses, qu’il s’agisse de faire bénéficier l’aquaculture de caractéristiques biologiques spécifiques à un sexe, d'optimiser la gestion des cheptels de géniteurs ou celle des populations sauvages.

 

La biologie moléculaire est alors en plein essor et Yann s’embarque pour les Etats-Unis. Direction l’université de San Francisco où, durant une année, il acquiert une solide expertise technique.

La recherche, ce sont des rencontres déterminantes et des collaborations profitables

Peu à peu, Yann Guiguen va « faire son trou scientifique ». S’enchaineront des résultats majeurs - Yann va mettre en évidence le rôle de la synthèse d’hormones stéroïdiennes femelles, les œstrogènes, dans la différentiation des ovaires chez les poissons, soulignant le rôle clé d’une enzyme, l’aromatase, dans ce processus. Ce seront également des publications notoires, des rencontres déterminantes - parmi lesquelles deux sommités de la biologie des poissons avec lesquels il développera de fructueuses collaborations, Manfred Schartl (Université de Würzburg, DE) et John Postlethwait (Université de l’Oregon, US) ; des congrès internationaux et de la formation d’étudiants.

Tout ce que vous avez toujours voulu savoir sur le sexe des Poissons

Chez les Salmonidés (truite, saumon et autres), le sexe génétique est déterminé par le mâle à la fertilisation. Le développement des cellules germinales selon le sexe génétique des individus (on parle de sexe phénotypique) a lieu sous l’action du système hormonal pendant le développement de l’embryon. L’administration d’hormones stéroïdiennes, mâle (androgènes) ou femelle (œstrogènes), lorsqu’elle se substitue au système hormonal du poisson, permet de produire des populations uniquement composées de mâles ou de femelles.

 

Les poissons, un vivier de compréhension

Yann Guiguen va mettre à profit ce phénomène d’inversion sexuelle pour comparer les gènes exprimés dans quelques 300 gonades embryonnaires de chaque sexe génétique. A la faveur de ce travail de titan, il identifie un gène,sdY(en anglais,sexually dimorphic on the Y) qui est exprimé uniquement dans les gonades mâles et qui existe seulement dans le génome des poissons mâles. Contre toute attente, ce gène déterminant du sexe est issu de l’évolution d’un gène ancestral impliqué dans la réponse immunitaire,irf9, qui code pour un facteur de régulation de l’interféron,sans lien avec les gènes identifiés jusque-là chez les Vertébrés, issus de l’évolution de gènes connus pour avoir des fonctions essentielles au cours du développement sexuel.

C’était il y a 10 ans et Yann se souvient encore ne pas avoir dormi pendant 15 jours. « On savait qu’on le tenait » dit-il, les yeux brillants, évoquant une phase d’excitation intellectuelle sans précédent au cours de laquelle il élabore, avec ses collègues, les expériences qui vont leur permettre ensuite de décrire la fonction de sdY. Inactivation, surexpression et autres…Yann réussit là un tour de force technologique. Il démontre que sdY est nécessaire et suffisant pour induire et maintenir la différentiation mâle. Il met également en évidence que sdY joue un rôle clé dans la détermination du sexe chez les Salmonidés chez lesquels il est par ailleurs hautement conservé.

Nager sur les traces de ses ancêtres

Yann n’est pas au bout de ses surprises… scientifiques ! La protéine SdY interagit avec une protéine qui a la capacité de réguler la synthèse des œstrogènes, Foxl2. A la faveur de cette interaction, SdY bloque la synthèse des œstrogènes et donc le développement de l’ovaire au bénéfice de celui des gonades mâles - Rappelons-nous, peu de temps auparavant, Yann avait démontré le rôle crucial des oestrogènes dans le développement du sexe femelle.

Aujourd’hui, celui dont on salue l’expertise en matière de déterminisme du sexe chez les vertébrés et en particulier les poissons, reçoit avec toute la discrétion qui le caractérise le laurier Défi scientifique 2019 de l'Inra pour ces travaux. Une distinction à laquelle il associe ses collègues et ses étudiants, passés et actuels, une récompense qui salue un travail collectif et dont il aimerait partager les honneurs avec tous. 

photo de groupe Yann Guiguen
Photo de groupe de l'équipe de Yann GUIGUEN au Laboratoire de physiologie et génomique des poissons.

Et après ?

Demain, Yann y est déjà. Une équipe qui s’est étoffée au fil des années, de nouveaux collègues, de nouveaux projets… et toujours la même passion pour son sujet sur le déterminisme du sexe chez les Poissons avec en perspective de mieux comprendre l’évolution moléculaire et fonctionnelle de ces déterminants majeurs du sexe. Les questions sont nombreuses. Chez les Poissons que l’on qualifie communément d’osseux, le génome est caractérisé par une duplication complète, c’est-à-dire qu’il présente deux copies de tous les gènes. Que fait l’évolution de tous ces gènes ? Les éliminer, les doter de nouvelles fonctions voire partitionner les fonctions portées par leur copie ancestrale ? Que dire également du chromosome surnuméraire que compte le génome des poissons cavernicoles d’Amérique centrale et qui porte le déterminant majeur du sexe ?

Hier, ils s’appelaient Arc-en-Ciel la truite ou Zou le brochet et leurs photos s’affichaient à l’entrée du laboratoire. Aujourd’hui, ce sont les piranhas, les raies et les Astyanax des eaux de Guyane qui fascinent Yann. Une diversité qu’il a d’ailleurs explorée il y a peu et dont il nous parlerait encore longtemps si on lui en donnait le temps ! 

En savoir plus

Pan Q. et al. 2019. Identification of the master sex determining gene in Northern pike (Esox lucius) reveals restricted sex chromosome differentiation. PLoS Genetics 15: e1008013.

 

Sävilammi T. et al. 2019. The chromosome-level genome assembly of European grayling reveals aspects of a unique genome evolution process within salmonids. Genes, Genomes, Genetics 9: 1283.

 

Herpin A. et al. 2019. A novel evolutionary conserved mechanism of RNA stability regulates synexpression of primordial germ cell-specific genes prior to the sex-determination stage in medaka. PLoS Biology 17 : e3000185.

 

Du K. et al. 2019. The genome of the arapaima (Arapaima gigas) provides insights into gigantism, fast growth and chromosomal sex determination system. Scientific Reports 9: 5293.

 

Feron R. et al. 2019. Characterization of a Y-specific duplication/insertion of the anti-Mullerian hormone type II receptor gene based on a chromosome-scale genome assembly of yellow perch, Perca flavescens. BioRxiv 717397.

Catherine Foucaud-ScheunemannRédactrice

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