Biodiversité 4 min

L’origine des blés modernes révélée

La caractérisation au niveau le plus fin de la diversité génétique mondiale du blé a été rendue possible par les travaux conduits dans le cadre de deux projets coordonnés par l’Unité GDEC (UMR UCA-INRAE 1095). A partir des résultats obtenus, les chercheurs ont pu retracer l’histoire évolutive du blé du Néolithique à nos jours. Plus encore, l’analyse de cette diversité est précieuse pour implémenter les prochains programmes de sélection, et exploiter de façon la plus appropriée les ressources génétiques afin de répondre au mieux aux nombreux défis auxquels est confrontée l’agriculture.

Publié le 03 février 2020

illustration L’origine des blés modernes révélée
© INRAE

Le blé est le produit d'une histoire évolutive complexe, faite d’une succession d’évènements de polyploïdisation (doublement du contenu chromosomique), de domestication, de migration, d’adaptation et de sélection. Il en résulte une grande diversité génétique et une souplesse adaptive qui font du blé l’une des espèces à l’aire de distribution mondiale la plus large.

La caractérisation de la diversité génétique mondiale du blé a été rendue possible grâce à deux consortia composés des meilleurs experts européens en génétique, génomique, écophysiologie et agronomie des céréales, appartenant à 21 laboratoires (projet européen Whealbi), et des principaux acteurs français publics et privés travaillant sur le blé (projet Investissements d’Avenir BreedWheat). Les forces, compétences et ressources, coordonnées par l’UMR GDEC et réunies pour la première fois autour d’un projet commun, ont entre autres permis de réaliser des analyses phylogénomiques et phylogéographiques des blés anciens et modernes, et ce à un niveau encore jamais atteint à ce jour, afin de retracer leur origine et leur histoire évolutive.

D’une part, le séquençage de la partie exprimée du génome d'un panel de près de 500 variétés de 68 pays, couvrant l'aire géographique de production de blé au niveau mondial, et d’autre part, le génotypage par puce de plus de 4 500 accessions de blé ont permis de retracer l’origine des blés modernes, en apportant un éclairage nouveau sur la structuration de la diversité génétique mondiale et son évolution, depuis le Néolithique jusqu’à nos jours.

Une origine ancienne de plusieurs millions d’années

La comparaison des séquences de 41 032 gènes des variétés de blés modernes avec ceux de leurs ancêtres sauvages (couvrant les espèces du complexe Triticum-Aegilops) a permis de retracer l’histoire évolutive du blé composée d’une succession de processus d’hybridations et de flux de gènes (appelée évolution réticulée) entre les ancêtres à différents niveaux de ploïdie qui, sur plusieurs millions d'années, ont façonnés les blés modernes. Ces hybridations successives sont considérées comme un moteur de l’adaptation du blé en brassant de manière récurrente la diversité pouvant ainsi conduire à l’apparition de nouvelles lignées mieux adaptées à leur environnement. Un tel brassage pourrait être à l’origine de la capacité du blé à avoir été cultivé sur l’ensemble des continents avec des conditions environnementales et pédoclimatiques variées.

Une histoire évolutive fortement liée à l’origine et à l’expansion de l’agriculture durant le Néolithique

Il y a 500 000 ans, une première hybridation entre Triticum urartu et une espèce proche de Aegilops speltoides a généré une nouvelle espèce appelée T. dicoccoides, à l’origine des blés tétraploïdes (ou blés durs) T. dicoccum et T. durum, utilisé de nos jours pour la production de semoule et de pâtes. Il y a environ 10 000 ans, l’hybridation de blés tétraploïdes avec A. tauschii a produit le blé hexaploïde (ou blés tendres) T. aestivum, utilisé de nos jours pour la production de farine et de pain. Concomitamment à cette dernière hybridation, ces blés ont été domestiqués dans le Croissant fertile, une région s'étendant d'Israël, de la Jordanie, du Liban, de la Syrie au sud-est de la Turquie, au nord de l'Irak et à l'ouest de l'Iran. La comparaison des espèces sauvages diploïdes (T. urartu, A. speltoides, A. tauschii) et tétraploïdes (T. dicoccoides, T. dicoccum et T. durum) avec les espèces domestiquées hexaploïdes (T. aestivum) a permis d’identifier les régions du génome ayant été sélectionnées par l’Homme lors de la domestication, c'est-à-dire ayant subi une forte réduction de diversité (ROD) génétique. Ces empreintes génomiques, qui couvrent près de 10% du génome, contiennent des gènes (Btr, Tg, Q) impliqués dans l’obtention de plantes aux rachis solides et aux grains nus, facilitant la récolte, mais aussi de nombreux gènes dont le rôle dans le syndrome de domestication demeure encore inconnu.

Illustration de l’origine du blé dans le Croissant Fertile et des voies d’expansions de l’agriculture depuis le Néolithique
Illustration de l’origine du blé dans le Croissant Fertile et des voies d’expansions de l’agriculture depuis le Néolithique

Ces empreintes génomiques, qui diffèrent selon l’origine géographique des accessions considérées, permettent de retracer avec précision l’histoire de l’agriculture depuis le Croissant Fertile avec la mise en évidence de cinq routes anciennes de migration des fermiers du néolithique : vers l’Europe de l’Ouest suivant la voie méditerranéenne au sud et la voie fluviale Danubienne au Nord, une voie au Nord vers la Russie, vers l’Est par une voie nord-est et une voie sud le long du couloir intérieur des montagnes asiatiques, suivies par la colonisation des continents non-européens.

Quelles évolutions depuis l’apparition du blé tendre ?

L’analyse de la diversité sur un panel de 4 506 accessions de blé constitué de populations de pays, de cultivars anciens et de variétés modernes, a permis, quant-à-elle, d’étudier l’évolution de la diversité depuis l’apparition du blé tendre. Elle met ainsi en évidence une structuration de la diversité originelle en huit sous-populations issues de la migration à partir du Croissant Fertile, vers l’Europe et l’Asie. Elle montre également que la diversité génétique mondiale s’est structurée à partir de cette diversité originelle, au gré de l’histoire des populations humaines (migration, colonisation, commerce…).

Cependant, la diversité génétique moderne apparaît fortement biaisée par rapport au potentiel existant, avec un pool asiatique très largement sous-exploité dans les programmes d’amélioration variétale. Par contre, si la sélection a conduit à une réduction de la diversité nucléotidique, l’analyse des variations structurales du génome montre l’apparition d’un nouveau type de diversité, liée à l’utilisation des espèces apparentées dans les programmes d’amélioration.

Les données, décrites en détail dans des articles publiés en mai 2019 dans les revues Nature Genetics et Science Advances, représentent une source, sans équivalent à ce jour, d’informations originales sur la diversité génétique du blé. Ces données devraient accélérer l’identification des gènes, fonctions et mécanismes contrôlant des caractères agronomiques majeurs, et trouver une valorisation dans des programmes de sélection ambitieux visant à construire de nouvelles variétés répondant aux enjeux auxquels l’agriculture moderne est aujourd’hui confrontée, qu’ils soient sociétaux, environnementaux (changement climatique) ou en lien avec le changement de pratiques agricoles (transition agroécologique). Les ressources génétiques, auxquelles ces données génomiques sont rattachées, sont conservées au sein du Centre de Ressources Biologiques des Céréales à paille de Clermont-Ferrand et disponibles à une large communauté pour répondre à ces nouveaux défis (https://www6.clermont.inra.fr/umr1095/Organisation/Infrastructures-experimentales/Centre-de-Ressources-Biologiques).

Les résultats de ces recherches ont fait l'objet de deux articles scientifiques dans la revue Science Advances et dans la revue Nature Genetics publiés en 2019

Etienne PauxDirecteur de rechercheUMR GDEC

Jérôme SalseDirecteur de rechercheUMR GDEC

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