Changement climatique et risques 3 min

Changement climatique et zones arides dans le monde : identification de trois seuils de réponse des écosystèmes

COMMUNIQUE DE PRESSE - Le changement climatique ne se résume pas à une simple augmentation de la température. Il implique des changements modifiant de manière drastique le fonctionnement des écosystèmes et les paysages qui nous entourent. C’est ce que montre une étude publiée le 14 février 2020 dans la revue Science par un consortium international de chercheurs dont INRAE est partie prenante. Cette étude indique comment une augmentation de l'aridité globale sur notre planète - telle que prévue dans le cadre du changement climatique actuel* - conduit à des changements abrupts dans le fonctionnement des écosystèmes des zones arides du monde entier, limitant leur capacité à maintenir la vie et fournir des services écosystémiques essentiels aux populations humaines qui en dépendent. Trois seuils de transition ont ainsi été mis en évidence. 20% des terres émergées actuelles seraient concernées d’ici 2100.

Publié le 14 février 2020

illustration Changement climatique et zones arides dans le monde : identification de trois seuils de réponse des écosystèmes
© INRAE - Nicolas GROSS

L’aridité - l'équilibre entre les précipitations et l'évapotranspiration - contraint fortement les capacités de production des écosystèmes. Actuellement les surfaces terrestres dites arides recouvrent 41% de la planète** et accueillent un habitant sur trois. Les scénarios de changement climatique prévoient une augmentation importante de l’aridité à l’échelle planétaire qui aggravera le déficit hydrique déjà connu dans ces zones et étendra leur influence au-delà d’autres écosystèmes qui ne connaissent pas encore ces conditions. Jusqu'à présent, les scientifiques faisaient l’hypothèse qu’une augmentation régulière et continue de l’aridité rendrait les écosystèmes progressivement moins verts et fertiles et les paysages plus désertiques. L’étude montre un scénario plus inquiétant : l’aridité croissante pourrait impacter le fonctionnement des écosystèmes de manière brusque et accélérée si certains seuils d’aridité sont franchis. Ces effets de seuils entrainent une chute irrémédiable du fonctionnement des écosystèmes telle qu’une chute de fertilité de sols, l’augmentation de l’érosion et une baisse de la production de nourriture et de biomasse.

Pour parvenir à ces conclusions, cette équipe internationale de chercheurs, coordonnée par l’Université d’Alicante (Espagne) a réalisé, dans le cadre du projet Européen ERC-BIODESERT, la plus grande compilation de données empiriques à ce jour dans les zones arides du globe. Les chercheurs ont évalué comment certaines caractéristiques structurelles et fonctionnelles essentielles des écosystèmes changent le long de larges gradients d'aridité. Ces données incluent une vingtaine d’attributs regroupant : des mesures de productivité réalisées sur site et estimées par satellite ; des données de végétation (composition et abondance en espèces) ; des informations sur l’adaptation des plantes à l’aridité et sur leur capacité à fixer le carbone atmosphérique par photosynthèse ; des données sur la fertilité et sur la biodiversité microbienne des sols. Les chercheurs ont ensuite analysé l’ensemble de ces données et testé si la réponse de chacun de ces attributs répondait de manière linéaire et continue aux variations spatiales de l’aridité ou, au contraire, si l’aridité entrainait des réponses abruptes.

Les résultats montrent que toutes les variables considérées répondent de manière non-linéaire à l'augmentation de l'aridité. Pour la première fois, les chercheurs ont cartographié trois transitions écosystémiques majeures accélérant la réponse des écosystèmes aux changements climatiques. La première transition correspond à une phase de réduction abrupte de la productivité des plantes. Pour s’adapter à la sècheresse, les végétaux vont développer des feuilles de plus en plus petites afin de maximiser l’utilisation de l’eau pour la photosynthèse. A partir d’un certain niveau d’aridité, cette stratégie rencontre une limite physiologique et les espèces en place commencent à être limitées par l’eau. C’est la transition entre la végétation Méditerranéenne (forêt à chêne pubescent et maquis, photo 1a) vers des végétations plus arides telles que celles retrouvées au sud de l’Espagne ou dans les paysages de steppes nord-africaine. La deuxième transition se définit par de multiples changements brusques observés sur plusieurs variables du sol qui marquent une chute de sa fertilité. Lors de cette phase, le sol perd sa structure et devient plus vulnérable à l'érosion. Les organismes du sol qui jouent un rôle essentiel dans le maintien du cycle des nutriments sont également radicalement affectés : on observe une augmentation de la présence d'agents pathogènes au détriment d'organismes plus bénéfiques pour les plantes tels que les mycorhizes. Les plantes qui survivent au-delà de ce niveau d'aridité sont principalement des arbustes, qui peuvent trouver de l'eau dans les couches profondes du sol (photo 1b). Enfin, la transition finale s'associe à une perte brutale de diversité et de couvert végétal. A ce niveau d’aridité extrême, le système s'effondre et devient un désert (photo 1c). La plupart des plantes ne peuvent pas prospérer dans ces conditions et ne survivent que les rares plantes capables de profiter de petites pluies imprévisibles par des stratégies de dormance.

Les paysages verdoyants de la moitié sud de la France pourraient se transformer en montagnes désertiques d’ici à 2100 selon une nouvelle étude à paraitre dans Science
Selon une nouvelle étude parue dans Science, les paysages verdoyants de la moitié sud de la France pourraient se transformer en montagnes désertiques d’ici à 2100? ( © INRAE - Nicolas GRUSS)

Selon les projections climatiques d’un scénario « business as usual*», plus de 20% des terres émergées de la planète pourraient franchir un ou plusieurs des seuils identifiés par cette étude d'ici 2100 en raison du changement climatique (carte ci-dessous). La vie ne disparaîtra pas des zones arides, mais ces résultats suggèrent que les écosystèmes de notre planète connaîtront des changements brusques qui affecteront directement plus de 2 milliards de personnes vivant actuellement en zone aride mais aussi au-delà. Ainsi l’étude montre que le bassin méditerranéen dont la moitié-sud de la France pourrait être particulièrement touché par ces phénomènes, modifiant radicalement les paysages que nous connaissons.

Les résultats de cette étude doivent permettre de mieux anticiper les impacts du changement climatique sur les écosystèmes terrestres, et ainsi établir des mesures d'adaptation et d'atténuation appropriées.

Carte de vulnérabilité des zones arides aux changements climatiques
Carte de vulnérabilité des zones arides aux changements climatiques.
Les zones arides se définissent comme zones tropicales et tempérées avec un indice d'aridité supérieur à 0,6. Ils regroupent des écosystèmes subhumide, semi-aride, aride et hyperaride comme le maquis Méditerranéen, les steppes, les savanes et les déserts. Cette carte comprend les zones qui pourraient traverser un ou plusieurs seuils décrits selon l'aridité prévue pour 2100 par le GIEC RCP8.5 (c'est-à-dire dans l'hypothèse d'une augmentation soutenue des émissions de CO2).

Références

Berdugo, M., M. Delgado-Baquerizo, S. Soliveres, R. Hernández-Clemente, Y. Zhao, J. J. Gaitán, N. Gross, H. Saiz, V. Maire, A. Lehman, M. C. Rillig, R. V. Solé & F. T. Maestre. 2020. Global ecosystem thresholds driven by aridity. Science
https://science.sciencemag.org/content/367/6479/787

* Selon les niveaux d’aridité prédits en 2100 par le scénario IPCC RCP8.5 (c.a.d., sous l’hypothèse d’un accroissement des émissions de CO2 tel qu’observé aujourd’hui)

** Les zones arides se définissent comme zones tropicales et tempérées avec un indice d'aridité supérieur à 0,6. Il regroupent des écosystèmes subhumide, semi-aride, aride et hyperaride comme le maquis Méditerranéen, les steppes eurasiatiques, les savanes et les déserts.

 

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