Société et territoires 5 min

Alimentation de proximité et durabilité des systèmes alimentaires

La reterritorialisation de l’alimentation fait émerger de nouvelles organisations, de nouveaux réseaux et dispositifs techniques autour de la reconnexion entre agriculture, alimentation et territoires. Evaluer les initiatives, souligner les limites… une étude nationale coordonnée par l’INRAE sur ce thème a permis de réunir une large palette de chercheurs de l’Institut pour en approfondir les enjeux.

Publié le 27 février 2020

illustration Alimentation de proximité et durabilité des systèmes alimentaires
© INRAE

Mise en valeur des produits locaux dans les enseignes de la grande distribution, développement des circuits courts et de proximité, marques territoriales… Depuis de nombreuses années, des initiatives faisant le lien entre l’alimentation et le territoire qui l’a vue naître voient le jour, en France comme à l’international. Portée par une multitude d’acteurs - agriculteurs, entrepreneurs, acteurs publics, acteurs associatifs, consommateurs, citoyens … - cette reterritorialisation de l’alimentation bénéficie également du soutien des collectivités, depuis la mise en place des projets alimentaires territoriaux inscrits dans la loi d’avenir agricole (2014) en particulier.

De mai 2018 à fin 2019, l’Inra, aujourd’hui INRAE, a coordonné une vaste étude nationale pour mieux cerner les contours de cette reterritorialisation, identifier ses grandes tendances et évaluer ses contributions, et limites, du point de vue de la durabilité environnementale, économique et sociale, au-delà de l’objectif de sécurité l’alimentaire. Un colloque fin 2019 a permis de présenter, de discuter et d’enrichir les résultats, en réunissant de nombreuses recherches menées sur les thèmes soulevés par l’étude. 

L’alimentation en territoires, autonomie versus subsidiarité

La localisation des activités agro-alimentaires n’est pas le fruit du hasard. Elle est avant tout édictée par la nature, s’y ajoutent la technologie et les mécanismes de marchés sachant que son organisation est susceptible d’affecter ses performances, économiques, environnementales ou encore sociales.

Progrès techniques puis révolution industrielle verront la demande alimentaire se concentrer et l’offre se disperser. Aujourd’hui, plus de la moitié de la population mondiale vit en ville, l’urbanisation est galopante en Afrique et en Asie. Transformation, conservation, stockage ou encore consommation, les modes évoluent, les marchés changent. Les lieux de production se spécialisent.

Le saviez-vous ?

C’est dans le Croissant fertile, au début du Néolithique que l’homme se sédentarise et qu’apparaissent des villages et les premières villes. L’agriculture se développe à leur périphérie. Les terres y sont fertiles, la demande est importante (Il faut entre 120 000 et 200 000 km² pour nourrir 1 000 habitants contre 3,3 km² aujourd’hui), les transports sont limités.

Les circuits de proximité sont à leur apogée !

Convient-il pour autant de caler le modèle de distribution des produits agricoles sur la distribution urbaine ?

Aujourd’hui, projets alimentaires territoriaux, approvisionnement local des cantines, politique de l’eau… sont favorables à une relocalisation de la production, sans oublier la hausse récente du coût de l’énergie, et donc des transports, qu’il convient plus que jamais de réduire.

Mais plus que les distances parcourues, ce sont les modes de transport et les modes de production qui affectent le bilan carbone de la production à la consommation, pouvant amener à préférer l’agneau néo-zélandais produit de manière extensive et transporté par bateau à l’agneau français – même si des études sont venues depuis nuancer ce résultat.

Que dire du risque de voir augmenter le prix des terres agricoles en zones urbaines ? A supposer d’abord que les surfaces nécessaires à l’approvisionnement des villes soient disponibles pour une alimentation de qualité et de quantité suffisante…

Considérons l’Ile-de-France. Pour nourrir 12 millions d’habitants… quelques 3,6 millions d’hectares seraient nécessaires soit pas moins de six fois la surface agricole utile francilienne actuelle (569 000 ha en 2018, source Agreste) ; il conviendrait d’approvisionner quotidiennement environ 24 000 t de produits alimentaires, loin des arrivages du marché de Rungis (1 726 146 t en 2017, source MIN de Rungis) ; trois repas qualitativement et quantitativement équilibrés devraient être concoctés chaque jour sachant que si la liste des spécialités franciliennes est alléchante, Niflette de Provins, Cresson de Méréville, Brie de Fontainebleau et Cerises de Montmorency n’y suffiraient pas.

Un calcul rapide qui, au-delà de toute considération, souligne l’intérêt et la nécessité de diversifier les zones d’approvisionnement.

L’alimentation en territoires, un paysage foisonnant

En 2010, le recensement agricole faisait alors état de 20 % d’exploitations agricoles en circuits courts, soit environ 100 00 agriculteurs, auxquelles correspondaient 10 % de la consommation alimentaire totale. Depuis, les circuits courts touchent un Français sur deux et 76 % de nos concitoyens disent acheter au moins une fois par mois des produits locaux.

Entre 2018 et 2019, l'enquête nationale conduite par des chercheurs INRAE et leurs partenaires, a permis de faire un état des lieux de l’alimentation dans les territoires. Ce travail de recensement se poursuit désormais dans le cadre d’un Observatoire national participatif en collaboration avec le Réseau mixte ,technologique, ou RMT Alimentation locale.

Aujourd’hui, nombreuses sont les catégories d’initiatives qui concourent à reterritorialiser l’alimentation. Au nombre de 60, elles recouvrent les identifiants locaux (p. ex. marques territoriales, AOP ou IGP), les chaines alimentaires courtes de proximité à destination du consommateur (p. ex. agriculteurs en vente directe, magasins de producteurs…), l’agriculture et l’élevage urbains (p. ex. ferme urbaine, potager partagé…) ; les politiques alimentaires locales et les dispositifs de gouvernance (p. ex. projets alimentaires territoriaux, stratégies alimentaires locales…), l’approvisionnement local (p. ex. restauration collective, restauration privée…) ainsi que les équipements, outils collectifs et services (abattoirs, légumeries…).

Leur nombre a augmenté au fil des ans tandis qu’elles se sont étendues dans les territoires.

Le E-commerce, fourmillant et complexe, participe à ce nouveau paysage. Aux drive fermiers (1 000), s’ajoutent les points Locavor (200), les ruches (800), les casiers connectés (350) ou encore les compte sur Open Food France (2080) ou Cagette.net (2 000). De nouvelles places de marchés de proximité sont apparues, portées par des entreprises de commerce électronique.

 

Alimentation en territoires, quelques chiffres

2 500 Amap dans 2 000 communes

110 jardins de Cocagne soit 25 00 consom’acteurs, 750 000 paniers

400 magasins de producteurs -

10 683 marchés alimentaires dont 9 588 marchés de plein vent (hors halles) – Env. 18 % des communes de France ont un marché alimentaire

690 marchés de producteurs dont env. 25 % situés dans une commune rurale ou une petite ville (- de 20 000 habitants)

1800 microbrasserie…

 

Source INRAE, 2018-2019

L’alimentation en territoires, des enjeux majeurs de durabilité

Société, économie et environnement, les intérêts de la reterritorialisation de l’alimentation sont nombreux, avec un certain nombre de limites et de points de vigilance.

Du point de vue social, la reterritorialisation est d’abord source de lien social, elle permet aux agriculteurs de rompre avec l’isolement. Pour eux comme pour les consommateurs, c’est une façon d’exister, portée par la fierté de vendre sa production ou de consommer les produits de chez soi, la valorisation des bonnes pratiques et le partage des connaissances et d’un savoir-faire … Il faut veiller toutefois à ne pas créer de nouvelles inégalités en construisant un système potentiellement réservé à une certaine élite, en écartant des territoires ou en n’associant pas les foyers en précarité alimentaire, soit 11 millions de personnes qui n’ont pas accès à une alimentation bonne pour la santé pour raisons économiques.

L’enjeu économique est également très important. Les représentants des acteurs agricoles reconnaissent la valeur ajoutée de l’alimentation en territoire avec la possibilité de percevoir un revenu régulier voire planifiable, même si les modèles économiques sont fragiles ou encore à définir, notamment autour des plateformes ou des légumeries.

Du champ à l’assiette, la diversité des initiatives contribue à diversifier les pratiques agricoles sur fond de préoccupations environnementales, qu’il s’agisse de limiter l’usage des intrants chimiques, de préserver l’eau, de réduire les déchets ou bien encore d’implanter la nature en ville.

A la quête d’une valeur ajoutée, s’adjoint la recherche de la qualité nutritionnelle même si le risque peut être alors de réduire la consommation de fruits et légumes dans des régions qui en produisent naturellement peu.

 

Aujourd’hui la reterritorialisation de l’alimentation, c’est un mouvement de fond, destiné, pour la plupart des personnes interrogées lors de l’étude (près de 200), à progresser. Nombreux sont les éléments qu’il reste à affiner voire à définir : indicateurs de durabilité, modèles économiques, gouvernance, règlementations… tandis que doivent se reconnecter les différentes dimensions, s’établir des relations renouvelées entre acteurs et territoires et que de nouvelles questions se posent à la recherche dans un contexte de changements globaux.

 

Catherine Foucaud-ScheunemannRédactrice

Contacts

Yuna Chiffoleau, Gregory AkermanUMR Innovation et développement dans l'agriculture et l'alimentation (INRAE, Montpellier SupAgro, Cirad)

Carl GaignéUMR Structures et marchés agricoles, ressources et territoires. Laboratoire d'études et de recherche en économie (INRAE, AgroCampus Ouest)

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