Dossier revue
Changement climatique et risques

Adaptation, les pistes d'action

Les changements globaux actuels sont inédits à l’échelle humaine tant en termes de rapidité que d’intensité. Ils rendent incertain l’avenir des forêts telles que nous les connaissons. Afin d’aider les décideurs publics, professionnels et propriétaires à faire face aux risques accrus, INRAE expérimente depuis plusieurs décennies des modes de gestion durable, en partenariat avec de nombreux acteurs publics et privés. Retour sur 4 expérimentations majeures.

Publié le 21 juin 2022

Le mélange des espèces

Face à la diversité des aléas et à leur combinaison, les forêts ou plantations mélangées sont plébiscitées. Le mélange des essences serait-il la panacée ?

Renouvellement de chêne et sapin en mélange sur une parcelle plantée à Eguisheim (68).

C’est avéré, les forêts et plantations en mélange présentent en moyenne une plus grande résilience face aux attaques d’insectes, de champignons et d’autres bioagresseurs. Pour la réponse aux aléas climatiques, les conclusions sont moins tranchées. Si les scientifiques observent qu’elles résistent mieux aux vents forts, le mélange n’apporte pas toujours une aide en cas de manque d’eau. Il semble néanmoins préférable de favoriser des forêts et plantations pluriespèces, si possible complémentaires sur le plan écologique (des développements racinaires différents ou une demande en eau décalée durant la feuillaison ou la floraison…) et compatibles en matière de gestion sylvicole. Il faut aussi tenir compte des impacts potentiels sur la biodiversité et sur les services écosystémiques. Ainsi, et de manière contre-intuitive, certaines espèces animales ou végétales se développant dans les peuplements purs (comportant une seule espèce d’arbre) sont absentes des forêts mélangées1. Il convient donc de diversifier la gestion avec des forêts pures, mélangées et d’autres non gérées.

Des associations à privilégier

Pour les forêts mélangées, ce n’est pas tant le nombre d'espèces présentes que la composition qui importe pour leur résilience. De ce point de vue, les associations de feuillus et de conifères sont particulièrement intéressantes. Des essais sont en cours, notamment dans les dispositifs OPTMix en région Val de Loire et ORPHEE en Nouvelle-Aquitaine, avec l’observation en parcelles pures ou en mélange de plusieurs espèces d’intérêt2 pour la filière. Les effets du climat, de la gestion sylvicole (mélange et densité) et des grands herbivores sur le fonctionnement des forêts mélangées de plaine sont abordés.

 


À l’échelle européenne, le projet FunDivEurope (consortium de 29 instituts, dont INRAE) a évalué les services environnementaux rendus par plus de 200 forêts au sein de 6 pays aux climats différents (Finlande, Pologne, Allemagne, Roumanie, Italie et Espagne). La conclusion est sans appel : plus les forêts sont diversifiées en essences, plus elles rendent de services (épuration de l’eau, préservation du sol, etc.). Des études de même nature se poursuivent à travers le monde jusqu’en 2024 sur près d’1,2 millions d’arbres de 26 forêts plantées plus ou moins intensivement en mélange, dans le cadre du projet MixForChange. Pour sa part, le projet I-Mastro évalue depuis 2 ans dans 4 pays d’Europe (Pologne, Slovénie, Allemagne, France) en quoi la diversification des forêts favorise leur résilience face aux perturbations climatiques. Réponse attendue fin 2022. 

1. Korboulewsky N. et al. 2016. How tree diversity affects soil fauna diversity: a review. Soil Biology and Biochemestry, 94: 94-106.

2. OPTMix : chêne sessile et pin sylvestre / ORPHEE : bouleau, chêne des Pyrénées, chêne pédonculé, chêne vert, pin maritime.

La diversité génétique

Génétiquement, deux arbres voisins au sein d’une même forêt présentent en moyenne 10 fois plus de diversité que deux êtres humains séparés par des milliers de kilomètres depuis des millénaires. Cette diversité génétique remarquable, présente chez la plupart des espèces d’arbres forestiers, fournit en quelque sorte le « carburant » de l’évolution dont la sélection naturelle est le « moteur ».

Les chercheurs ont montré qu’il existait autant de diversité génétique au sein d’une population d’arbres qu’entre celles vivant dans des lieux très différents. La dynamique de cette diversité, alimentée à chaque génération par des mutations et le brassage de l’information génétique lors de la reproduction, se produit sur des pas de temps longs. Or, la rapidité du changement climatique en cours – à l’échelle d’une seule génération d’arbres – pose la question du maintien sur le long terme de cette véritable « assurance de survie » qu’est la diversité génétique. C’est sur elle que les forestiers peuvent compter pour adapter les forêts lors de leur renouvellement et pour créer des variétés nouvelles, à fort potentiel d’adaptation ou d’intérêt pour la bioéconomie.

 

Sur les pentes du mont Ventoux à 1 400 mètres d’altitude, un technicien prélève une branche au sommet d’un sapin. Cet échantillon permettra de mesurer au laboratoire le potentiel hydrique de l’arbre.

 

Il est donc indispensable de mettre en œuvre des méthodes de conservation voire d’enrichissement de ce capital qui n’est pas illimité, de bien le gérer par la mise en place de pratiques de gestion sylvicole dites adaptatives, voire de le restaurer lorsqu’il a été dégradé.

Le projet européen GenTree (H2020, 2016-2020, 22 partenaires) coordonné par INRAE, a permis de mieux connaître la répartition de cette diversité génétique pour 12 espèces autochtones, présentes dans toute l’Europe et d’intérêt pour la filière, dont les pins maritime et sylvestre, l’épicéa commun, le chêne sessile et le hêtre. L’analyse des données obtenues sur 4 750 arbres situés dans plus de 200 forêts naturelles ont permis d’identifier les forêts où la diversité génétique doit être conservée et les pratiques qui la favorise ; une aide précieuse pour élaborer les stratégies européennes en faveur de la biodiversité et des forêts à l’horizon 2030.

 

En complément, le projet européen B4EST (H2020, 2018-2022, 19 partenaires) étudie les bases génétiques de la réponse des arbres au climat, l’intérêt de la diversité génétique en sélection et de la diversification de l’offre en variétés pour anticiper les besoins de demain pour 8 espèces économiquement majeures.

La migration assistée

Accélérer la migration naturelle en favorisant ou en implantant des arbres mieux adaptés aux conditions pédoclimatiques futures.

Plantation expérimentale permettant d’étudier l’impact et l’adaptation au changement d’altitude pour les essences d’arbres présentes sur le mont Ventoux.

Par cette stratégie, forestiers et chercheurs tentent de prendre de l’avance. L’idée est d’accompagner la migration d’espèces ou de provenances3 d’arbres au-delà de leur aire de distribution actuelle en un lieu, souvent plus septentrional ou d’altitude plus élevée, où les résultats des projections climatiques à l’échéance de plusieurs décennies anticipent les conditions de leur niche actuelle.

Un écosystème entier à prendre en compte

Mais ce déplacement, principalement envisagé comme support pour l’adaptation à la sécheresse et aux canicules, implique de considérer l’évolution de l’écosystème forestier dans toute sa complexité : la biodiversité qu’il abrite et qu’il convient de préserver, le sol ou encore les services, environnementaux, économiques ou sociaux, qu’il assure. La migration assistée est déjà une réalité en cours d’évaluation. Cette pratique concerne environ 30 % des plants installés par l’ONF en région Grand Est durant l’hiver 2021-2022.

Des essences à l’étude

Depuis 4 ans, les forestiers sont autorisés par dérogation à expérimenter le remplacement de certaines essences en difficulté dans le Nord-Est par leurs cousines méridionales. C’est le cas par exemple du chêne pubescent et du pin maritime qui pourraient remplacer progressivement le chêne sessile et le pin sylvestre.

Parmi les récents projets emblématiques dont INRAE est partenaire, RENEssences (coordination ONF) et Esperense (coordination RMT AFORCE) visent à identifier et tester de nouvelles essences ou provenances moins connues, comme le pin de Brutie (Turquie) ou le chêne de Hongrie (Bulgarie), à la fois résilientes, productives et assurant des services écosystémiques équivalents dans différentes régions exposées au changement climatique. Les premières essences candidates devraient être identifiées d’ici 5 à 8 ans. À long terme, ces premiers « îlots d’avenir » pourraient représenter les seules ressources en graines de ces espèces candidates, pour certaines en mauvaise posture aujourd’hui dans leur aire naturelle.

3. La provenance qualifie l'origine géographique d'une essence d'arbre. C'est une zone caractérisée par des conditions écologiques auxquelles les arbres se sont adaptés et ont développé des caractéristiques génétiques similaires (source : onf.fr).

Une sylviculture plus dynamique

La gestion des forêts est rythmée par l’évolution des arbres, de la phase de renouvellement à la récolte, entre 50 à 200 ans en fonction des essences forestières. Plus les forêts vieillissent, plus les aléas, notamment météorologiques, peuvent avoir des impacts environnementaux et économiques importants.

Rajeunir la forêt et accélérer le renouvellement des générations fait également partie des leviers identifiés.

La pratique d’éclaircie des peuplements a fait ses preuves dans la plupart des forêts du monde et pour quasiment toutes les espèces, pour atténuer l’impact d’un déficit en eau dans le sol, limiter le dépérissement et favoriser une reprise de la croissance après sécheresse : moins d’arbres à l’hectare, c’est moins de surface foliaire, moins d’évapotranspiration, moins d’interception des précipitations, moins de compétition.

Rajeunir la forêt et accélérer le renouvellement des générations fait également partie des leviers identifiés : les arbres jeunes sont plus résistants à la sécheresse – mais plus vulnérables à l’incendie (épaisseur d’écorce et hauteur du houppier réduites) ou au gel, et ont un potentiel d’acclimatation morphologique et anatomique au climat actuel supérieur aux arbres plus âgés. Réduire la révolution, soit le nombre d’années avant la récolte finale, permet d’écourter la période d’exposition aux aléas climatiques des arbres trop âgés, plus vulnérables. Une régénération continue ou accélérée favorise en plus la sélection plus rapide des gènes les mieux adaptés au climat changeant.

Doser les interventions

Coupe d’arbres malades dangereux pour le public. Dans certains cas, les restes de coupe (tronc, branches…) sont laissés sur place pour favoriser la biodiversité.

Bien entendu, ces pratiques sylvicoles qui visent prioritairement une meilleure résilience des forêts de production doivent être adaptées pour combiner services d’approvisionnement et services supports (modalités d’intervention pour préserver la qualité des sols, maintien de vieux arbres et de bois mort en forêt pour conserver la biodiversité, etc.). Dans certaines forêts où les enjeux environnementaux en matière, par exemple, de séquestration de carbone ou de biodiversité priment, tels que les réserves, les territoires forestiers historiques d’avant 1850, les îlots non gérés dits de sénescence, etc., d’autres options sylvicoles doivent être privilégiées. Dans ces zones protégées, l’intervention ne doit se faire qu’en ultime recours pour conserver un état boisé ou des espèces végétales dont dépendent des espèces animales protégées…

 

Accompagnement technique : réussir le renouvellement

Fruit d’un travail multipartenarial dans le cadre du RMT AFORCE, le site climessences.fr, compile les données de 10 années de recherches pour accompagner le choix des essences forestières en contexte de climat changeant. Depuis 2021, il permet d’analyser le niveau de risques d’implantation de près de 150 espèces européennes (110 résineux, 37 feuillus) en France, selon deux scénarios climatiques pour 2100, l’un optimiste (réchauffement de + 2 °C), l’autre pessimiste (+ 4 à 5 °C). Ces éléments peuvent autant alimenter la réflexion des propriétaires et gestionnaires à l’échelle d’une parcelle que celle des services de l’État et collectivités à l’échelle d’un massif ou d’un territoire.

 

En parallèle, INRAE, AgroParisTech et l’ONF ont lancé en 2017 le pôle d’innovation RENFOR qui accompagne les praticiens forestiers confrontés à des difficultés pour renouveler leurs forêts, par régénération naturelle ou par plantation. Le pôle conçoit des itinéraires sylvicoles de renouvellement et évalue leurs performances économiques, environnementales et sociales. Il propose des méthodes pour limiter la mortalité initiale des arbres en plantation souvent due aux sécheresses estivales, ou pour réduire l’envahissement des parcelles en régénération spontanée par la fougère aigle. Il conçoit également des outils de plantation réduisant la pénibilité du travail et des procédés culturaux limitant les dégâts causés par les ongulés.

 

Enfin, avec plus de 4 000 ha de forêts dévolus à l’expérimentation en gestion forestière, l’infrastructure nationale IN-SYLVA-France, coordonnée par INRAE, regroupe les dispositifs de recherche des établissements travaillant sur la gestion forestière. Les expérimentations sur plusieurs sites couplent les leviers sylvicoles, biogéochimiques et génétiques pour favoriser une vision intégrée de la sylviculture et élaborer une gestion adaptative et durable.

  • Sarah-Louise Filleux & Catherine Foucaud-Scheunemann

    Rédactrices