Alimentation, santé globale 5 min

Plus de protéines végétales dans l'assiette, pourquoi est-ce si difficile pour le consommateur ?

Rééquilibrer nos apports entre protéines d’origine animale et végétale est le point central des transitions vers des régimes sains et durables. Mais les consommateurs sont-ils prêts à mettre plus de protéines végétales dans leur assiette ? Réponses avec Sandrine Monnery-Patris, chercheuse en psychologie cognitive au Centre des sciences du goût et de l’alimentation à Dijon.

Publié le 09 juillet 2021

illustration Plus  de protéines végétales dans l'assiette, pourquoi est-ce si difficile pour le consommateur ?
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Une alimentation équilibrée comprenant une abondance de produits végétaux diversifiés et des quantités modérées de produits animaux est recommandée pour la santé de l'être humain et celle de la planète1. En France, la consommation de produits animaux est importante, avec un ratio protéines animales/protéines végétales égal à 65/35 en moyenne. Pourtant moins coûteuses, les protéines végétales ont encore du mal à être au centre de notre assiette. Pour Sandrine Monnery-Patris, chercheuse en psychologie cognitive, cela s’explique notamment par des préjugés encore très prégnants, et la difficulté de changer ses habitudes alimentaires.

Les protéines végétales, victimes de stéréotypes

Nos représentations mentales associées aux protéines s’organisent autour du concept de chair, de corps, de muscle

Si l’on vous dit protéines, à quoi cela vous fait-il penser ? C’est la question posée à 40 mères de familles responsables des achats alimentaires de leur foyer. Toutes les réponses étaient du registre animal : viande, œuf et poisson. Sur 40 participantes, seulement 1 a mentionné spontanément les légumes secs. Pour la chercheuse, « nous avons des représentations mentales associées aux protéines qui s’organisent autour du concept de chair, de corps, de muscle ». Deuxième expérience, faire le portrait chinois des protéines. Pour les participants, si la viande était une personne, ce serait un homme de 30 à 40 ans qui exerce un métier mobilisant la force (bûcheron, boucher, etc.). Quant à la lentille, ce serait une femme, plus jeune, qui exerce un métier dans le domaine du tourisme ou de l’esthétisme. Si la viande était un animal de compagnie, ce serait un chien, la lentille un chat. Ces réponses révèlent ainsi un effet genré et une représentation très différente entre protéines animales et végétales. Selon la chercheuse, cela pose un problème lorsque que l’on veut substituer la viande par des légumes secs ou des céréales car dans notre inconscient il est difficile de remplacer un aliment associé à la force et à la virilité par un aliment plutôt associé à la légèreté et à la féminité. Il n’y aurait pas d’équivalence parfaite, ce qui explique en partie que le consommateur a l’intime conviction que l’un ne peut pas se substituer à l’autre.
Dans la série des préjugés qui ont la vie dure, il y a aussi la praticité. Pour les personnes interrogées, un frein à la consommation de légumes secs est leur temps de préparation supposé trop long alors qu’en réalité, il existe aujourd’hui bon nombre de plats à base de légumineuses qui ne nécessitent pas de temps de préparation supplémentaire. Autre préjugé, les légumes secs seraient des aliments pour végétariens, végétaliens ou végans…

La viande toujours au centre de l’assiette

Lorsque l’on demande à des participants de composer un plat pour des occasions différentes - repas au restaurant, repas où l’on invite des collègues, un ami végétarien, un repas de tous les jours, etc. – on voit que spontanément, les protéines végétales sont très peu choisies. Elles font partie de seulement 10% des choix. Pire encore, les participants commencent d’abord par choisir la viande puis ils vont choisir les accompagnements, et quelques fois il s’agit d'aliments riches en protéines végétales tels que les légumineuses (lentille, pois, fève, pois chiche, etc.). « Il y a un frein cognitif. Si l’on demande au consommateur de substituer la viande par des végétaux riches en protéines, cela revient à lui demander de remplacer un aliment central par un aliment périphérique », explique la chercheuse. 

La communication, la clé pour construire de nouvelles représentations 

Pour faire évoluer les pratiques des consommateurs, il faut communiquer sur le goût

Pour déconstruire toutes ces représentations, la clé semble être la communication et l’information. Mais comment communiquer et sur quoi ? Pour répondre à cette question, les chercheurs ont mené une étude qui visait à comparer les représentations de mangeurs lambda à celles de professionnels de la filière des légumes secs (producteurs, transformateurs, diffuseurs) qui ont une vision experte sur les protéines végétales. Résultats : la représentation du consommateur lambda s’organise autour de prototypes, en l’occurrence pour lui une protéine végétale est une lentille et dans une moindre mesure, les haricots secs et les pois chiches. Ce qui est au cœur de sa représentation sociale c’est le goût : « délicieux, bons, sympas ». Quant aux professionnels, leur représentation sociale porte essentiellement sur l’aspect fonctionnel et nutritionnel de ces aliments, ils évoquent uniquement le terme de « protéines » et jamais celui de goût. Pour la chercheuse, ces résultats montrent que pour faire évoluer les pratiques des consommateurs, c’est bien sur les notions de goût qu’il faut communiquer pour répondre aux attentes des mangeurs, et moins sur les notions de protéines végétales, concept finalement assez mal compris par les consommateurs. 
Les scientifiques ont également observé une certaine confusion lexicale autour des légumineuses : certains mangeurs associent légumes secs avec fruits secs par exemple. Ainsi, ce serait aussi la façon de penser l’alimentation qui entrainerait une difficulté à envisager ce rééquilibrage animal/végétal, puisque cela reviendrait à demander de remplacer une protéine très bien identifiée, à savoir la viande et le poisson, par quelque chose qui est mal identifié et mal connu. C’est donc par la connaissance et la communication que les attitudes envers les légumes secs pourront évoluer, et in fine que les habitudes alimentaires pourront changer. Une information qui, selon la chercheuse, ne doit pas être envisagée que sous un angle nutritionnel, utilitaire ou fonctionnel mais au contraire avec une forte composante hédonique et un aspect pratique. 

Changer ses habitudes alimentaires, c’est compliqué…

Une habitude alimentaire, c’est une réponse automatique pour gérer nos choix alimentaires

Une habitude alimentaire c’est ce qui nous amène à agir au quotidien sans réfléchir. Avec 3 repas par jour, cela fait autant de fois où l’on doit réfléchir à ce que l’on doit mettre dans son assiette dans des contextes très différents : le repas au travail le midi, le repas avec des invités, le plateau télé du vendredi soir… Ainsi, le mangeur est en permanence en tension sur des choix à opérer pour son alimentation. Les habitudes alimentaires permettent d’alléger considérablement cette réflexion car c’est la réponse la plus automatique et la moins coûteuse que nous avons pour gérer nos choix alimentaires. Pour le consommateur, changer ses habitudes alimentaires entraîne alors un coût hédonique – se passer du goût de la viande -, un coût en terme de praticité (préparation, choix du lieu d’approvisionnement), et un coût en terme de temps de préparation. Pour instaurer le changement il faut alors agir sur ces leviers : changer l’image des légumes secs, proposer des recettes et de nouveaux produits faciles à préparer.

… mais possible !

On change un comportement alimentaire par « exposition répétée » à un nouvel aliment. Plus on est exposé à un aliment, qui au départ est nouveau, inconnu, et de ce fait plutôt rejeté a priori, et plus cet aliment va être proposé dans un contexte familier et chaleureux, plus il a de chance d’être accepté : « c’est par exemple le cas du café, pourtant très amer, mais auquel on est exposé régulièrement, au travail lors de la pause café, dans la sphère familiale. On y est exposé dans un contexte positif, qui amène à goûter cet aliment et recommencer malgré un goût pas toujours apprécié au début ». Proposer des plats à base de protéines végétales à la cantine peut ainsi aider à faire apprécier ces produits aux enfants, mais à la seule condition que ce soit dans un environnement positif. Un enjeu fort apparait alors : la formation des personnels des cantines pour proposer aux enfants des nouveaux aliments de façon plus positive.

Alors, on mange quoi ce soir ? Un houmous entre amis ? Un cassoulet en famille ? Un dalh de lentille au restaurant ? Dans tous les cas, bon appétit  !
 

Références : 
> Melendrez Ruiz J., Buatois Q., Chambaron S. et al. (2019). French consumers know the benefits of pulses, but do not choose them: An exploratory study combining indirect and direct approaches. Appetite, 141 (1): 1-12. hal-02164325

> Poquet D., Chambaron-Ginhac S., Issanchou S., Monnery-Patris S. (2017). Interroger les représentations sociales afin d’identifier des leviers en faveur d’un rééquilibrage entre protéines animales et végétales : approche psychosociale. Cahiers de Nutrition et de Diététique,
52 (4) : 193-201, https://doi.org/10.1016/j.cnd.2017.05.002.

> Melendrez Ruiz J. Comprendre la faible consommation de légumes secs chez les consommateurs français non végétariens : combinaison d’approches directes et indirectes afin d’identifier les barrières et les opportunités. Sciences agricoles. Université Bourgogne Franche-Comté, 2020. En savoir plus

1 -  FAO and WHO. 2019. Sustainable healthy diets – Guiding principles. Rome. 

 

ELODIE REGNIER Rédactrice

Contacts

Sandrine Monnery-Patris Chercheuse en psychologie cognitiveCentre des Sciences du Goût et de l'Alimentation

Gaëlle Arvisenet Professeure AgroSup Dijon et chercheuse CSGAAgroSup Dijon

Stephanie Chambaron Chercheuse en psychologie cognitive Centre des sciences du goût et de l'alimentation

Juliana Melendrez Doctorante en Sciences des alimentsCentre des sciences du goût et de l'alimentation

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